Balade dans le jardin d’Eden avec Banned du Lightman Jarvis Ecstatic Band

Écouter Banned, le premier album du Lightman Jarvis Ecstatic Band et pénétrer dans les profondeurs mystiques et organiques de leur musique folk atypique. Le groupe formé par les musiciens expérimentaux canadiens Yves Jarvis et Romy Lightman nous invitent à explorer leurs plus profonds désirs à travers de denses paysages sonores psychédéliques. On s’est laissé envouter par leur énergie aussi régénérante que chaotiques et vous emmenons explorer cet opus sauvage étrange et exotique…

Lightman Jarvis Ecstatic Band

Yves Jarvis s’est forgé un nom sur la scène internationale en sortant plusieurs albums sur ANTI-Records et Flemish Eye. Romy Lightman était quant à elle la moitié de Tasseomancy (du nom de la méthode divinatoire d’interpréter l’avenir en lisant les motifs des feuilles de thé, des marques de café ou des sédiments de vin) groupe expérimentale mené par sa sœur jumelle. La rencontre des deux artistes est aussi fusionnelle qu’indomptable. Leurs énergies créatrices se mêlent et s’entrechoquent tout au long de Banned. Et ce qui aurait pu être un banal album de chansons d’amour est un opus dense et intime, une invitation à l’amour libre imprégné de naturalisme.

L’album a été enregistré en pleine nature, au Tree Museum, situé dans la campagne ontarienne, et la nature environnante est omniprésente tout au long de Banned. Romy Lightman parle du Lightman Jarvis Ecstatic Band comme « notre amour en collaboration avec le vent, le trille, les jours calamiteux, la mousse et la roche précambrienne. » Les instruments fourmillent et s’harmonisent tels l’air, les animaux sauvages, les insectes ou autres végétaux difformes aux racines immergées cohabitent et trouvent chacun leur place dans la nature / les morceaux.

Nymphea a par exemple été écrit « à côté de nénuphars déchiquetés, suspendus à des rhizomes de marais émeraude, de minuscules dômes mystiques moussus aux sifflements complexes, crachant des hoquets lacustres et flottant en masses euphoriques et amorphes tels des cœurs sauvages sécrétant des orifices blancs poussés vers la lumière et étalés sur le lac » écrit le groupe. Et l’aspect organique se ressent à chaque instant dans leur musique.

Olamin ouvre l’album, nous faisant pénétrer dans leur monde étrange et luxuriant par ses voix éthérées, son clavier rêveur et sa basse chaude et ensorcelante. Elastic Band semble sorti de marais. Becoming, morceau instrumental zen aux inspirations orientales new age, semble être livré aux vents. Et les instruments clapissant de Mother’s Rope sonnent comme un magma végétale fourmillant de vie…

Inspirée de folk, de free jazz, de fusion, de gospel, de prog rock ou parfois encore de musiques new age, la palette sonore des deux musiciens est riche, et se mélange à leur guise. L’album qui a été réalisé en deux semaines d’improvisation continue (après 2 ans à travailler leur technique ensemble) regorge d’ingéniosité et de dextérité et donne à l’opus son esprit libre en dehors de tout conformisme.

Stomach Pit avec ses airs de bande son de film noir 60’s, commence et finit sous tension. Une voix parlée sparse et plaintive se pose sur une batterie dense et saccadée avant de s’élever avec des chœurs aux chants mélodiques et chaleureux inspirés des chœurs de gospel, puis de retomber solitaire et paranoïaque. Red Champa, morceau en apesanteur rythmé par les notes légères d’un handpan (un instrument de musique acoustique métallique qui produit des sons aériens) prend des accents progressifs et nous rappelle Phish (groupe d’improvisation U.S. lui-même souvent comparé au Grateful Dead). Et Nymphea, l’un des titres phares de l’album, nous transporte dans des contrées mystérieuses et voluptueuses en une balade psychédélique langoureuse et envoutante portée par une instrumentation riche et sensuelle, guidée par les voix entrelacées des deux musiciens

Leurs sonorités désordonnées, à mille lieux des constructions classiques refrain/couplets/refrain, ont des pouvoirs relaxants stimulés par le désir et l’imagination. Jamais lisse, souvent à rebrousse-poil, l’opus nous transporte dans des contrés inexplorées qu’on prend plaisir à visiter. Et du plaisir il en est question tout au long de l’album. Les deux musiciens expriment leur relation en musique et se vouent à la retranscription de leurs désirs.

Les paroles d’Ancient Chain – morceau au paysage sonore aussi complexe que bizarre qui rappelle celui d’un Robert Fripp – (en anglais à l’origine), sont poétiques et érotiques : « Nous convoquons le poumon d’argent / Dans des vaisseaux ovales / Pressés de mettre en œuvre / Des fenêtres orgasmiques / Ambre et rose / Figure galactique étalée sur /Cuisses acoustiques ». La recherche de l’extase est maître mot dans l’opus qui prône l’ouverture d’esprit et la libération sexuelle.

Loin des clichés romantiques, l’album est en constante mouvance et regorge d’aspérités. Lightman écrit : « Il y a un côté épique et de la tension par moments. (…) C’est comme la façon dont les particules entrent en collision. Il y a une dimension alchimique là-dedans, avec les composants de base qui s’entrechoquent. » Loin d’une idylle idéalisée, les tensions et les frictions sont visibles dans la musique du Lightman Jarvis Ecstatic Band, comme dans la vie. Jarvis commente : « L’extase est perverse et sacrée. Afficher une joie extatique comme nous le faisons dans cet album nous expose. Il s’agit avant tout de notre désir d’expression créative et de la curiosité qui l’entoure. Ça devrait être censuré, mais ça ne le sera pas. »

Banned, tel le fruit défendu, nous plonge dans un jardin sonore luxuriant aux profondeurs organiques et aux essences mystérieuses qu’ont ne se lasse pas d’explorer…

Banned sorti sur ANTI-Records et Flemish Eye est en écoute partout.

Découvrir Banned :

Retrouvez notre chronique de Nymphea ici, celle de Ancient Chain .