Apollo XXI : to the moon and back with Steve Lacy

À chacun son cadeau d’anniversaire. Si certains rêvent de voyages, de grosses fêtes ou de voiture, d’autres ont des rêves plus pragmatiques. Pour ses 21 ans, Steve Lacy a donc décidé de s’offrir une chose toute simple : son premier album solo. Il s’appelle Apollo XXI et il est plus ou moins tout ce qu’on pouvait espérer du garçon. On a vraiment de la chance, il a décidé de partager ce cadeau avec nous.

La valeur n’attend point le nombre des années écrivait Corneille dans Le Cid. Cette expression entrée depuis dans le langage courant semble avoir été pensée pour Steve Lacy. Le garçon a tout juste 21 ans et a déjà un CV long comme le bras. Membre de The Internet depuis 2013 pour lesquels il a grandement participé à la création des brillants Ego Death et Hive Mind, il a aussi participé aux albums solos de ses comparses Matt Martian et Sid, et s’est acoquiné notamment avec Solange, Kendrick Lamar ou Vampire Weekend. Impressionnant, quand la plupart d’entre nous se demandaient encore ce que nous allions faire de notre vie à son âge. Précoce, le garçon l’est assurément. Talentueux, il l’est sans doute encore plus. Deux ans après avoir présenté un premier EP Steve Lacy’s Demo, en grande partie composé et enregistré sur son iPhone, le garçon de Compton signe la fin de l’enfance (21 ans est l’âge où l’on devient officiellement un adulte aux États-Unis) avec un premier album qu’il a pris la liberté de sortir lui-même, faisant fi des ponts d’or que lui offrait l’industrie musicale. On enfile notre casque et on grimpe dans Apollo XXI, voyage aller-retour vers la lune musicale de Steve Lacy.

On s’est beaucoup demandé comment vous parler de cet album. On a réfléchi et puis on a réalisé ce qui transpirait le plus de cet album, ce qui en faisait sa sève, son liant, le petit truc qui nous poussait à y retourner encore et encore, à partir à la recherche de ses trésors cachés, de ces petits riens qui font finalement les grands tout. Et voilà ce qui résulte de notre recherche, ce qui rend fou dans Apollo XXI, ce qui choque et qui fascine tout autant, c’est l’insolence maitrisée dans tous ses compartiments. L’insolence certes, mais sans prétention et sans esbroufe. Steve Lacy est un homme d’instinct, et cet album vient de ses tripes, les guts comme disent les anglo-saxons. C’est un album d’un artiste qui se regarde sans doute le nombril, mais qui le fait dans le miroir, offrant un rendu déformant, nouveau, un regard différent sur ce qu’il est. Oui, Apollo XXI est un album de Steve Lacy qui parle de Steve Lacy, de ses peines de cœur, de sa sexualité, de sa vie au final. Mais on était prévenus, il le dit dès les premières notes de Like Me. Un titre évocateur que Like Me, puisque si le garçon parle de lui, c’est aussi pour s’adresser à ceux qui se reconnaîtront dans ce qu’il dit, pour les aider à avancer, à pousser plus loin et à trouver la paix en eux-mêmes. Avec cette candeur, cette douceur qui émane de lui, il transforme un egotrip qui affiche trop souvent ses limites en réceptacle des pensées et des fantasmes des autres, Steve Lacy devenant pour nous le miroir dans lequel on se regarde le nombril.

Musicalement, le garçon a pour lui la fouge de sa jeunesse, celle qui permet de tout oser, de tout vivre et de tout penser. L’instinct toujours qui permet de balancer une pièce à tiroirs et à histoire comme Like Me et en même temps une petite merveille comme Amandla’s Interlude où la guitare et le violon se répondent pour trois minutes de beauté tranquille et cinématographique. Pour le reste, le kid de Compton mélange avec bonheur le funk et le lo-fi, comme un croisement improbable entre Prince et Mac de Marco. En résulte cette musique détonante, réjouissante et groovy au possible sur des titres comme l’excellent Playground qui joue des effets à outrance, mais une nouvelle fois tout en maitrise pour un résultat assez dingue. On reste aussi pantois face à la basse complètement folle de Guide, à la batterie qui claque de Hate CD ou à la douceur DIY de In Luv We Trust et de Love 2 Fast.

A l’écoute de ces douze titres, on finit par se dire que rien ne peut résister à Steve Lacy. Apollo XXI est un premier album impressionnant, d’une folie maitrisée et d’un talent aussi insolent qu’il est naturel. Le garçon n’a que 21ans, toute une vie devant lui, mais déjà il pose ici l’un des plus beaux albums de l’année. Apollo XXI est un voyage, une balade qu’on reprend encore et encore. On appelle ça une petite merveille tout simplement.