Apollo Noir : Laboratoire musical 3e épisode

Malgré les péripéties rencontrées, on peut certifier une chose : 2020 est une très bonne année en terme de sorties musicales. Année qui n’est pas terminée, au vu des nombreux EPs / Albums qui continuent de pointer le bout de leur nez avant les fêtes. Parmi eux, un ovni sort du lot, un objet étrange à l’univers singulier. Nous parlons ici du 3e album d’Apollo Noir, sorti vendredi dernier chez Tigersushi Records & Santé Records : Weapons.

Ainsi, Apollo Noir aka Rémi Sauzedde continue son exploration sonore. Véritable Géo Trouvetou de la musique, il nous avait déjà embarqué dans de curieuses expéditions avec ses 2 précédents opus. D’un côté A/N, premier projet sorti en 2017, où nous faisions la rencontre avec une electro abyssale et brutale. Un monde où industriel et ambient se croisent; teintés d’une certaine noirceur.
De l’autre, Chaos ID, venu au monde en 2019, se distingue par des notes plus légères et aériennes. Un album qui sent l’exploration lunaire à plein nez; qu’on aurait adoré en bande son du jeu Lego Rock Raider sur PS1 (chacun ses références). En bref, deux albums qui nous emmènent dans des espaces infinis.

Voilà plus d’un an que notre chercheur a relancé son laboratoire musical, pour enfin nous proposer sa nouvelle création Weapons. La pochette d’album ne présage rien de bien joyeux. Fidèle à son titre, elle nous présente une lame posée au centre d’un tableau morose, entourée de fils noirs, dont la nature nous est inconnue. Peut-être des cicatrices infligées par l’arme blanche ? Une chose est sûre, le rire n’est pas au rendez-vous. Mais comme le couteau, nous sommes face à un visuel qui marque, et que notre rétine n’oubliera pas de sitôt.

L’introduction démarre avec une synthèse hypnotisante et torturée. Aucune ligne précise ne semble avoir été écrite, si ce n’est cette voix détraquée que nous suivons, comme si nous partions pour un long walkabout. Les sons errent, prennent en intensité, accélèrent pour finalement nous amener sur le second morceau Tue les Tous.

L’atmosphère est déjà bien plus ardente. De lourdes sonorités nous attaquent sans prévenir, sublimées par un clip complètement fou, dont une foule d’images agressives défile devant nos yeux innocents. Mais Apollo Noir s’amuse également à mettre notre ouïe à l’épreuve, nous proposant ici une oeuvre moderne, tout autant dérangeante que fascinante. Un court passage de chuchotements calme la danse furieuse, accompagné de synthés futuristes. Un leurre, dont l’artiste saura profiter pour nous sortir du fauteuil avec un solo de guitare brusque et tourmenté. Une brève montée trash metal inattendue. Nous sommes dans l’atelier d’Apollo Noir, rien n’est prévisible.

L’expérience suit son court avec Arme de Destruction Massive, nous plongeant dans un nouvel univers tout aussi dérangé. Un rythme régulier de premier abord nous accueille; surplombé par d’heureuses voix trafiquées, semblant se balader à leur aise, tels des feux follets du futur. Entre noirceur et innocence, le chemin nous est encore une fois compliqué à discerner. Mais c’est bien ce que nous propose cet album, quelque chose d’inconnu, un voyage expérimental qui a ses propres règles. On finit très vite par accepter ces apparitions sonores abstraites, qui s’immiscent dans le squelette du morceau.

On parlait de walkabout un peu plus tôt; le titre suivant en est clairement une illustration parfaite. Si vous voulez partir pour un rite dans le désert, fermez les yeux, vous entendrez sans doute Douk Douk en fond. Cette œuvre puise profondément dans nos sens avec un souffle d’ambient experimental, où on peut presque visualiser les vagues de sons qui nous enveloppent. L’artisan continue de nous proposer de nouvelles sensations, creusant toujours plus loin dans sa galaxie musicale. Mais ne vous mettez pas à l’aise trop rapidement. Flame Thrower arrive tel un bovin des enfers, écrasant tout sur son passage. L’environnement devient pesant, des sons métalliques s’imposent, et nous rentrons dans un trip industriel sans avertissement. Les cloches sonnent et la ferraille grésille. Un véritable orchestre infernal qui nous assomme, et reste longtemps imprégné dans nos têtes. Mais l’épreuve est loin d’être désagréable. Apollo Noir joue tel un scientifique fou avec nos émotions, nous montrant de nouvelles formes d’agressivité.

L’album continue avec des pistes moins brutales, mais toutes aussi travaillées et singulières les unes des autres. Chaque facette suit sa logique. D’un côté nous avons l’inquiétant Couteau, où synthés planants se mêlent à une percussion détraquée, qui ne sait où se positionner entre l’électronique et le dur son de l’acier. D’un autre Arc, nous montrant un air à suivre, une première mélodie électronique rafraîchissante. Une bouffée d’air après ces moments d’obscurité et de violence, mais dont les harmonies finissent toujours par être perturbées par d’étranges intrus. Adieu pour sa part ralentit le rythme avec des sonorités venant tout droit des étoiles. Un voile de lumière qui dompte la haine que promouvait l’opus par moment. A l’image de notre être pendant cette écoute si particulière.

Le dernier titre Sorry ne vous laissera pas neutre plus. Un long périple de quasi 18 minutes, où Rémi Sauzedde met à l’honneur une ultime fois ses dernières trouvailles sonores. Une longue errance, qui arrive à nous agripper du début à la fin, où le temps semble s’être arrêter. Une conclusion intense, qui vous fait rentrer dans une douce transe. Pourquoi Sorry ? Il ne faut pas s’excuser Rémi, au contraire merci.

C’est sur ce dernier morceau que se termine Weapons. Une excursion qu’on conseille à vos oreilles, si elles ont envie de changer des destinations habituelles.