Antoine Wielemans : « J’avais envie d’un disque très brut, de capturer un moment »

Connu pour son rôle au sein de Girls in Hawaii, Antoine Wielemans a dévoilé en fin d’année dernière Vattetot, un premier effort solitaire et en français. On l’avait rencontré au moment de la sortie de l’album. L’occasion de revenir avec lui sur sa confection, sur l’importance de chanter en français, du piano et de parfois se plonger dans la mélancolie.

Crédit : Manou Milon

LFB : Salut Antoine, comment ça va ?

Antoine Wielemans : Ben écoute, ça va très bien. Une journée un petit peu mouvementée. (interview réalisée en novembre 2021 ndlr) On a joué hier à la locomotive et on s’est quand même couché un peu tard, et puis c’était la merde sur les routes aujourd’hui avec les départs en vacances. Il pleuvait. On a été dans les bouchons pendant des heures mais bon ça va, tout va bien.

LFB : Tu t’apprêtes à dévoiler ton premier album solo, je voulais te demander comment tu te sentais à l’idée que les gens découvrent une nouvelle facette de toi ?

Antoine Wielemans : Vu que j’ai déjà sorti deux morceaux, le vrai moment de stress c’était surtout au moment de la sortie du premier, Sel, au mois d’avril. Là, je suis plutôt excité et content que ça sorte car c’est un long processus. Presque huit mois qu’on attendait les vinyles. On les a reçus il y a trois jours donc tout va bien.

LFB : Est-ce qu’il y a quelque chose d’un peu vertigineux à se lancer en solo ?

Antoine Wielemans : Effectivement, ça fait vingt ans qu’on fait de la musique avec Girls in Hawaii, et dix-huit ans qu’on a sorti notre premier disque mais comme c’est assez chronophage et qu’en plus, on est plutôt lent dans l’écriture, on trie et on jette beaucoup, je sentais que j’avais besoin de faire un projet différent, de de rencontrer d’autres personnes, d’avoir quelque chose en parallèle avec Girls in Hawaii et ça me fait du bien. C’est pas vertigineux, plutôt chouette.

LFB : L’album s’appelle Vattetot, qui est le nom de la ville où il a été crée. A l’écoute, j’ai la sensation que c’est une musique très nourrie par les lieux, le temps qui passe et les éléments extérieurs.

Antoine Wielemans : Il y a une forme de lenteur, de côté un peu planant, de temps suspendu. Effectivement, je l’ai écrit au deux-tiers dans cette maison isolée d’un petit village au bord de falaises, quand dehors il y avait des tempêtes…un endroit un peu hors du temps. J’aime bien me retrouver dans ces conditions là pour écrire, plutôt que l’été car l’été j’ai surtout envie de me promener, de faire des barbecues, des parties de pétanque… j’adore écrire quand il fait dégueu dehors, il y a un côté cocon d’ailleurs. Et dans cette maison là, le temps qui passe, la nature, le climat…c’est la météo normande qui change tout le temps. Il y a toujours quelque chose à regarder.

LFB : C’est aussi un album qui est marqué par le piano et le français. Deux éléments centraux.

Antoine Wielemans : Oui oui. Le piano, c’est un peu un fantasme. Mes parents m’avaient inscrit au piano mais j’avais arrêté au bout de deux mois parce que le solfège était assez rébarbatif à apprendre. Mais ça fait trois ou quatre ans que je prends des leçons. Et la plupart des chansons de l’album ont été composées quasiment toujours sur une base de piano. Ce que j’aime bien avec le piano, c’est laisser trainer les accords en ajoutant un son de synthé. Et ça donne au disque un côté suspendu.

Et le français…ça fait une dizaine d’années que j’écoute énormément de trucs en français et ça me permettait de m’éloigner de Girls in Hawaii et de me détendre. Et j’avais hyper envie d’écrire un disque et des chansons dans ma langue. Ca a été un long cheminement pour arriver à chanter quelque chose dans sa langue. Quand j’ai commencé il y a vingt ans, c’était ultra ringard de chanter en français et c’est un long processus qui a amené ça.

crédit : Martin Sojka

LFB : J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de plus impudique dans l’écriture, par rapport à ce que tu avais fait auparavant avec des choses un peu plus directes, moins abstraites.

Antoine Wielemans : Oui. Le français fait que tu es plus écouté. Et en plus, le type de musique sur ce disque est un peu planant, assez doux avec une voix fort en avant et peu d’effets sur cette voix, un peu parlé par moment. Ce qui te donne envie de raconter quelque chose aux gens et forcément, on écoute ce que la personne dit. L’impudeur est un peu difficile à gérer quand tu fais des concerts. Au moment où j’écrivais les chansons, ça ne m’a jamais vraiment traversé l’esprit parce que tu es dans ta bulle et ça m’amusait d’être plus direct et impudique.

LFB : Quand tu t’es décidé à sortir un album en français, est-ce qu’il y avait des pièges que tu voulais éviter ? On parlait justement du côté ringard. Y’a t-il des choses que tu t’es refusé en chantant dans ta langue ?

Antoine Wielemans : Est-ce que je me suis refusé des trucs en français… après ça passe dans le tri des morceaux. Ce qui me plait, ce qui me plait moins. Mais même le côté variété, grand public plus que dans Girls in Hawaii n’est pas quelque chose qui m’embête. Je trouve que ça peut être pris comme une qualité de pouvoir parler à beaucoup de gens à la fois. En tout cas, moi ça peut m’intéresser.

LFB : J’ai beaucoup pensé à Vincent Delerm par moment, au niveau notamment de la fragilité de la voix. Est-ce que tu as eu l’impression de redécouvrir ta voix ou de l’utiliser autrement avec cet album ?

Antoine Wielemans :  En général, c’est chanté plus grave ou dans des tessitures graves. Ça ne sonne pas de la même manière et c’est un peu perturbant au début, et puis on s’habitue. C’est un disque que je faisais un peu au départ comme des démos et quand le confinement a commencé en Mars 2020, j’avais toutes ces bandes démos et c’est devenu impossible d’aller en studio, de rencontrer des gens… j’avais envie d’un disque très brut, comme un carnet de route. Capturer un moment, le temps qui passe et du coup il y a des voix que j’ai voulu réenregistrer et j’aimais moins, donc le côté naturel de la première prise était meilleur. Donc j’assume l’idée que ce soi un peu brut.

LFB : Concernant les thématiques, j’ai eu l’impression d’être devant l’album de quelqu’un qui combat la dépression et qui voit la lumière arriver. Il y a quelque chose de profondément triste mais aussi un petit côté positif.

Antoine Wielemans : En fait chez moi, la musique a toujours un peu ce rôle-là. Les sentiments que j’aime recevoir et explorer en musique ont souvent un aspect mélancolique. Dans l’art en général, musique, littérature ou peinture, je suis le plus touché par la mélancolie. C’est donc un peu la fonction qu’a la musique pour moi, quand je pars dans cette maison en hiver.

C’est comme un repli où une forme de tristesse peut surgir et je l’accepte pour en faire de la musique. Après dans mon quotidien, j’ai une petite fille et ma copine à la maison donc c’est quelque chose que j’essaye d’éviter, de me laisser aller dans mes sentiments mélancoliques. Mais dans un contexte particulier, c’est quelque chose dont j’ai besoin et j’aime pouvoir les ressentir. Depuis que j’ai un enfant, j’ai parfois du mal à écrire à la maison ce type de texte.

Et puis ces chansons, je les ai écrites à un moment un peu « crise de la quarantaine » et en anglais, c’est plus compliqué car je n’arrive pas à être dans des nuances qui me plaisent. En français, c’était plus simple d’exprimer ces sentiments. La mélancolie mais aussi une forme d’espoir. Ou alors des paroles très tristes mais dans la musique, j’essaye de mettre quelque chose d’un peu lumineux, planant ou aérien. J’aime travailler sur cette ambivalence.

LFB : Je trouve que l’on ressent un peu le vide, le manque des autres. Comme un rejet du monde moderne.

Antoine Wielemans : Le temps qui passe, être devenu parent. Où on va ? Que devient le monde dans lequel on vit ? On a tous connu le même confinement, qui était un moment très particulier mais aussi quelque chose d’un peu rassurant sur le fait qu’on puisse arrêter les choses. Je pensais qu’il serait totalement impossible que suite à un virus, qui n’est pas Ebola non plus, toute l’économie mondiale, les transports aériens…tout s’arrêterait en fait. Du coup j’avais un espoir. Mais bon tout a l’air finalement de reprendre comme avant…

LFB : Finalement, les thématiques laissent penser à un album post-confinement qui a été écrit avant le confinement.

Antoine Wielemans : Il y a deux chansons qui ont été écrites au tout début du confinement. Il y en a une qui s’appelle Ici et qui assez dark, écrite en Mars 2020.

LFB : Que ce soit le titre de l’album ou de plusieurs chansons, c’est souvent résumé en un seul mot. Est-ce que ça t’intéressait de laisser les choses volontairement floues mais avec un certain indice de ce dont tu allais parler dans les chansons, comme pour laisser marcher la poésie ?

Antoine Wielemans : Oui oui. J’aimais bien que les titres ressemblent un peu à des codes. Qu’il n’y ait pas d’article, un seul mot par chanson, brut et assez vague. J’aime bien toujours laisser pas mal de flou autour de ce que je raconte. C’est cru et en même temps vague et ça permet aux gens de se projeter dans la musique.

LFB : Par rapport au son de l’album, on sent quand même malgré tout les influences anglo-saxonnes dans un album qui n’est pas un album de variété mais qui reste pop-rock.  Je me demandais s’il y avait un challenge à associer ses deux parties là de toi. Que tu chantes en français sur des influences d’outre-manche.

Antoine Wielemans : Depuis quelques années , il y a beaucoup d’artistes qui ont su rendre un côté ultra sexy à la chanson chantée en français. Si tu écoutes Flavien Berger ou autres, ils ont ce rapport à une pop aux sonorités américaines du style de Grandaddy et chanter en français dessus.

LFB : Oui voilà. On n’est pas obligé de faire de la variété pour faire de la chanson française. Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter avec cet album là et où est-ce que tu voudrais l’emmener ? Quelle vie tu lui vois ?

Antoine Wielemans : Je pensais que c’était une étape importante pour moi qui me redonne aussi envie à fond d’écrire quelque chose pour Girls in Hawaii car faire quelque chose en solo, ça m’avait confronté à une forme de solitude permanente, de doute, quelque chose de plus probant que dans Girls… où on est plusieurs et où on s’échange des idées. Il y a toujours le regard assez objectif de l’autre sur ce qu’on fait qui permet d’être confiant en certaines choses et trier d’autres choses.

Là, c’était quelque chose de dingue à vivre mais je ne sais pas ce que sera la suite. On va commencer par faire une vingtaine de concerts notamment dans des lieux assez intimes et il est tout à fait possible que j’ai de nouveau envie de refaire un disque en français dans deux ou trois ans, et peut-être même quelque chose de différent.

C’était une belle découverte de chanter dans ma langue. Dans les disques de Girls in Hawaii, notamment sur le dernier (Nocturne), écrire en anglais m’avait paru long, fastidieux et compliqué. Plus on avance, plus on a envie de mettre du fond mais ça reste des pensées en français qu’on doit traduire en anglais et on se demande si les gens allaient percevoir la petite nuance qu’on a envie de mettre dans les paroles.

LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur culturels que tu aimerais partager avec nous ? Pas spécialement dans la musique ?

Antoine Wielemans : J’ai vu un film au cinéma vraiment cool qui s’appelle Une vie démente et qui va sortir bientôt en France. Pendant le confinement, j’ai kiffé la série (Netflix) sur Michael Jordan et les Chicago Bulls, ça m’a rappelé mon adolescence et les années 90. Après j’ai pas découvert mille trucs parce que justement, pendant le confinement on est surtout resté dans des valeurs de refuge. Pendant les premiers, j’ai pu écrire des trucs et puis après ben…on ne va plus voir d’expos, on ne voit plus les copains qui font des concert, ni au théâtre ou au cinéma. C’était une période un peu sèche.

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