Anna Majidson, au fil des mots

Juste avant la release party de son EP, La Rivière, au Pop-Up du Label, nous avons eu le plaisir de discuter avec Anna Majidson. Nous avons parlé de son parcours, de son EP et de sa façon d’appréhender la musique.

La Face B : Bonjour Anna, tout d’abord j’aimerais te demander ce que tu ressens une semaine après la sortie de ton EP la Rivière.

Anna Majidson : Je me demande encore ce que je ressens. Je n’ai pas trop eu l’opportunité d’avoir le recul nécessaire pour me demander comment je me sens. Quand on sort quelque chose, on a beaucoup de peurs, d’appréhensions vis-à-vis de la réception que les gens en auront. Mais, je suis très contente de ce que l’on a pu faire dans les conditions dans lesquelles cela a été réalisé. Musicalement, j’avais un but assez précis avec cet EP et je trouve que ce but est atteint. Ça me donne envie de continuer mais j’ai aussi besoin de me reposer avant de reprendre le studio pour avoir le temps de le digérer.

LFB : Ce soir, tu seras sur scène au Pop-Up pour la release de ton EP. Anna Majidson en live ça va donner quoi ?

Anna Majidson : Ce que je souhaite faire, c’est d’amener les gens dans mon univers. Qu’ils perdent les repères de là où ils sont. Qu’en sortant de la salle ils puissent se dire : « Ah mais en fait, je suis à Paris au Pop-Up dans le 12ième ». Réussir à transporter les gens et qu’ils soient emportés par les émotions des morceaux ; faire en sorte qu’ils ne restent pas dans leurs pensées.

LFB : Depuis Haute, on te sent une envie d’évoluer et d’explorer de nouveaux territoires musicaux. Tu quittes quelque peu la RnB pour aller vers des morceaux plus Pop après avoir flirté avec la Folk dans Mixetape Telecom.

Anna Majidson : Pour moi, tout ce que j’ai fait jusqu’à présent c’était de la Pop. C’est pensé pour être accessible. Je viens du Jazz et je ne souhaitais pas faire un truc trop jazzy ou complexe. Que ma musique soit influencée par le RnB ou la Soul, oui mais à la base ça a toujours été de la Pop. Je suis aussi de plus en plus à l’aise dans ce monde, Singer Song Writer, un peu comme l’est Rufus Wainwright, un artiste québécois que j’aime beaucoup. C’est la chanson, en elle-même, qui me touche, peu importe qu’elle soit folk ou RnB. Je reste donc dans la Pop !

LFB : Franco-américaine passée par la case Canada. Comment ce mélange culturel influence tes créations ?

Anna Majidson : Je suis très influencée par les lieux où je crée et les milieux culturels dans lesquels je vis. On se sent influencée par ses entourages. C’est donc un vrai privilège de pouvoir puiser ses inspirations en Amérique entre ses côtes est et ouest, et ensuite revenir en France et me reconnecter à mes racines, parce que je suis née ici. D’en retirer les éléments que je préfère, c’est un vrai luxe.

LFB : Tu as désormais choisi de chanter en français. Qu’est que cela change pour toi ?

Anna Majidson : Quand je chante en français, je me lâche moins parce que, pour moi, les paroles sont plus importantes que le chant. Dans ma performance vocale, je dois donc un peu me restreindre mais ça me permet aussi de m’amuser davantage avec les textes. Parce qu’en français les textes sont plus riches par rapport à ce que l’on pourrait attendre de textes en anglais.

Je suis aussi contente de constater que les gens se connectent à la musique à travers les paroles. Les Français sont très forts en jeux de mots. C’est une langue très riche mais qui peut être aussi pesante ou trop sérieuse. C’est pour cela que j’ai tendance à utiliser des mots très simples et presque naïfs pour me permettre de faire, musicalement, des trucs plus complexes. Il faut savoir garder un équilibre entre le texte et la musique. C’est un exercice compliqué, presque mathématique.

LFB : Ton Ep, s’appelle La Rivière – c’est aussi le nom du premier et court morceau. Que symbolise cette rivière qui t’accompagne tout du long de ton EP ?

Anna Majidson : La rivière symbolise la musique elle-même. C’est un puits d’énergie dans lequel je recherche l’inspiration mais aussi l’amour – de façon inconditionnelle – parce que c’est un lieu où je me sens bien. J’ai écrit le premier morceau en donnant vie à cette rivière afin de la personnifier et de raconter comment elle interagit avec les gens autour d’elle. C’est à partir de cette inspiration et de cette image que j’ai travaillé. C’est ça le pluriel de l’EP.

LFB : Pour ne prendre en exemple que Natasha, il y a dans ta façon de chanter comme quelque chose de retenu, tout en nuance. Est-ce une façon de laisser les sensations prendre le dessus sur la musique ?

Anna Majidson : Il y a de cela, mais je voulais surtout donner davantage de place aux textes, aux vocalises ou aux harmonies. Avoir une voix qui prend trop de place m’enlève cette possibilité. Je trouve aussi que les voix qui prennent énormément de place, qui sont très fortes sont moins à la mode aujourd’hui qu’auparavant. Dans la tradition française, les voix calmes ont toujours été privilégiées. Ça va aussi avec le cliché d’une femme française avec ses fragilités et ses vulnérabilités. C’est familier ici et je voulais aller dans cette direction.

LFB : Avec November Ultra ou David Numwami en featuring, on sent forcément que la sensibilité est une qualité importante pour toi.

Anna Majidson : Oui, et c’est agréable d’être entourée de gens qui sont aussi sensibles. On se comprend mieux. On est des gens pas très compliqués, qui ne parlent pas très fort et qui portent beaucoup d’importance aux choses futiles, aux belles choses. Comme si on parlait un langage commun. Ça me rassure aussi.

LFB : Comment les as-tu rencontrés ?

Anna Majidson : November, je l’ai rencontrée lors d’un rassemblement où s’étaient retrouvées de nombreuses femmes du milieu de la musique. Elle était là. D’ailleurs c’est là aussi que j’ai rencontré Eugénie qui est ma Natasha dans le Clip. Ensuite, on est resté en contact. Elle m’avait époustouflée. Elle avait chanté un morceau guitare-voix qui m’avait mise par terre. Je suis très fan de sa musique.

David, je l’ai rencontré en Belgique, lors d’une résidence au Jam Hôtel. C’est un hôtel qui est réservé aux résidences artistiques. Il était à l’étage en dessous du mien. On s’est rencontré comme cela.

LFB : Dans ton EP, tu as également collaboré avec d’autres musiciens. Sacha Rudy à la Prod – Lewis Ofman pour Paume – Romain Hainaut (Blasé) – Tev’n. Que t’ont-ils apporté ?

Anna Majidson : Ils ont chacun leurs pattes particulières. Et je les ai choisis pour cela. C’était très réfléchi et calculé. Lewis m’avait envoyé plein de prod et c’est celle-là, Paume, qui est sortie. Avec Sacha on a fait des sessions spécifiquement où je lui donnais des références. Mais avant tout, ce sont des amis. C’est plus simple à mettre en place.

LFB : Ton EP se referme sur la chanson Poussière qui porte en elle une mélodie qui devient omniprésente. Elle semble s’échapper d’une mémoire collective. Comment l’as-tu composée ?

Anna Majidson : Je me suis assise, chez moi, à mon piano. J’ai commencé juste avec la ritournelle au piano et les paroles sont plus tard. Je ne me souviens plus trop de ce qui a été le déclic. Peut-être que je l’ai enregistrée sur mon ordinateur en midi et puis les paroles sont venues après. Je pense que c’est ce qui s’est passé. A la voix, je suis les notes du piano, à part sur refrain où il y a des chœurs et une ligne mélodique plus simple, ensuite cela revient sur la ritournelle. Au début, c’était juste une intro d’une minute trente. Et puis j’ai vu un producteur qui m’a conseillé d’en faire un morceau entier.

LFB : Poussière est aussi un morceau très cinématographique. Tu as fait référence aux films de Rohmer pour qualifier – entre autres – Natasha. Te sens-tu proche dans tes compositions de ce style Rohmerien ?

Anna Majidson : C’est un esthétisme qui m’a toujours beaucoup parlé. Il y a une pulsion dans le cinéma français qui est extrêmement importante dans le cinéma, y compris à l’international. Ce que j’aime beaucoup dans le mouvement de la Nouvelle Vague et en particulier dans les films de Rohmer c’est la simplicité des dialogues, l’importance des couleurs et de l’esthétique. On revient à cette notion d’hypersensibilité. Il y peu de choses qui se passent. Les scénarios semblent banals et pourtant on peut ressentir une lourdeur pesante. On fait attention aux détails alors qu‘aujourd’hui on a tendance à les perdre, noyés dans les informations qui nous entourent.

C’est important de revenir aux choses basiques, simples. Il faut prendre le temps de regarder, d’écouter. Le fait d’accorder autant d’importance à un dialogue, très simple, amène à un certain dramatisme ou romantisme. J’aime bien ce côté théâtral.

LFB : D’ailleurs, on retrouve dans les thèmes abordés sur ton EP sont empreints d’une nostalgie ou d’une mélancolie non feintes.

Anna Majidson : Comme tout le monde, j’ai plus de mal à écrire sur des sujets joyeux que mélancoliques. Ça vient aussi de la manière dont j’écris. J’ai dans ma tête un monologue intérieur et des fois il y a des choses intéressantes qui en ressortent : « Ah c’est phrasé bizarrement, c’est rigolo » Alors je les note pour m’en servir ensuite comme idées. Ça s’est passé avec la plupart de mes morceaux où des images viennent, où des scénarios, des situations se mettent en place.

Et en fait quand on est heureux on ne dit pas : « Je suis tellement heureuse, je suis heureuse, je suis si heureuse ». La joie est quelque chose d’éphémère. La paix intérieure est quelque chose de plus profond. Il y a quelque chose à explorer dans cette stabilité des choses.

Dans Natasha, les images ne sont pas tristes, elles sont plutôt légères. Il y a un jeu entre le côté mélancolique et celui plus léger pour que ce ne soit jamais trop pesant.

LFB : En termes de collaborations, tu aurais d’autres envies ?

Anna Majidson : J’aime bien la French Touch, moins électro mais plus instrumentale – les mecs de Air, Nicolas Gaudin par exemple ou Sébastien Tellier. Ils sont présents dans l’univers de David car il a joué avec ces mecs-là.

Il existe aussi beaucoup de femmes chanteuses que j’admire comme Pomme ou Yseult. Il y a des trucs super qui se passent en ce moment. Ce ne sont pas forcément des collaborations qui auraient du sens mais entre la French Touch et ces chanteuses, ce sont deux univers que j’aime bien.

LFB : Justement, tu as, dernièrement, assuré la direction musicale d’une soirée de l’hyper festival de France inter. Tu la trouves comment cette nouvelle scène musicale francophone ?

Anna Majidson : Il y eu quand même comme un retournement de situation lorsqu’Angèle, Roméo Elvis ou Eddy de Pretto sont arrivés. Un nouveau courant de mélange d’influences de Rap dans la Pop française. Ça a ouvert la porte à énormément de choses.

La Rap a vraiment pris beaucoup de place sur la scène française que l’on retrouve dans les streamings et les projets signés par les labels. Mais cette scène Rap/Hiphop est finalement très Pop.

On retrouve aussi un désir de revenir à quelque chose de plus organique, plus instrumental et moins autotuné qui va marquer les cinq prochaines années. Il existe toujours ce schéma action/réaction. Ce ne sont que des cycles. Cela ne concerne pas seulement la musique ou même de façon plus large la culture, le monde entier est en train de shifter dans une autre direction. Ça va être intéressant.

LFB : Quelles seront tes prochaines actualités mis à part « digérer » ton premier EP.

Anna Majidson : Oui, digérer c’est bien mais je ne vais pas encore avoir l’occasion. Je vais jouer à Lausanne la semaine prochaine pour Les Prémices qui est un super festival. Nous y sommes allés avec Haute et j’ai adoré. Ensuite je joue au Bar Gallia le 20 mars. Il y a pas mal de dates qui tombent. Je joue aussi pour une expo d’art en avril.

Je tourne aussi un clip pour un des morceaux de La Rivière qui va sortir bientôt. Ça sera La Fin, mais j’aimerais bien aussi un jour pouvoir cliper Poussière.

LFB : En termes de compositions,

Anna Majidson : J’ai des débuts d’idées. Mais cela sort en anglais parce que je réfléchis et je parle beaucoup en anglais. Du coup, je dois traduire. Il faudrait que je m’isole quelque part, loin. Ecrire et être seule face à ma musique, comme beaucoup de gens, je pense.

LFB : Tu pourrais faire du yaourt en français.

Anna Majidson : En fait lorsque j’écris, j’ai direct les mots en anglais qui sortent. Car c’est toujours une histoire que je raconte. Ça part toujours d’une émotion. C’est plus poignant. Je tombe facilement amoureuse d’un morceau lorsque les paroles m’attrapent direct. Mais il y a beaucoup de gens qui ne sont pas comme cela, qui sont davantage portés vers la prod, la rythmique et qui n’écoutent pas du tout les paroles.

LFB : Que peut-on te souhaiter ?

Anna Majidson : Bonne chance pour ce soir et que tout se passe bien. C’est l’aventure du live [Rires]

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ADN #395 : Anna Majidson
Chronique Anna Majidson : La Rivière
(Portfolio) Anna Majidson – Release Party La Rivière