Amyl and the Sniffers, révolte de la tendresse

Les évènements récents ont fait fondre le cerveau des punks australiens de Amyl and The Sniffers. Bloqués tous ensemble dans une grande maison, ils ont pris le temps et le recul de composer leur deuxième album Comfort to Me. Plus muri, leur son n’a pourtant rien perdu de sa verve et de son énergie dévastatrice. Guitares rock n’ roll, rap post punk enragé et vrai militantisme, décryptage d’un album qui vous explose à la figure.

Ne vous fiez pas à la pochette. Le visage fondu d’Amy Taylor, les yeux globuleux, les lèvres pendantes sont sensés refléter l’état de son cerveau. C’est plutôt une explosion qui vous attend, un bombardement de punchlines, de cymbales qui crashent et d’énergie brute. L’album reste cependant une vraie percée dans l’esprit d’Amy, ses combats et ses revendications. Ultra engagé, c’est aussi par moments touchant si on prend le temps de lire entre les lignes. Profondément punk, Comfort to Me signe l’explosion d’Amyl and the Sniffers et les positionne en groupe d’utilité public. 

Premier titre composé pour l’album mais aussi morceau d’ouverture, Guided by Angels débute par un roulement de batterie sur lequel s’ajoutent quelques accords de guitare. Elles seront les ponctuations de la voix ultra saccadée d’Amy Taylor, sa marque de fabrique. Avec Amyl and the Sniffers, on a plus affaire à un combat de boxe, soyez prévenus. Poésie moderne ou punk surexcité, elle scande la manière dont ses « anges » traversent son corps et son âme. Son énergie quoi. Seules des créatures surnaturelles peuvent protéger Amy, elle se débrouille très bien toute seule sinon.

Cet album Comfort to Me se fait aussi un devoir de revenir aux gros classiques du punk, notamment avec les guitares martelées qui grésillent, et des hommages à des Riot Grrrrl remises aux gouts du jour. Inspiré du célèbre slogan du mouvement « girls to the front », le groupe ramène un peu d’inclusivité grâce à son Freaks to the front. Et en profite pour dégager de son chemin tout élément indésirable. Ça promet des pogos de haute voltige tout ça.

Plus engagé que jamais, le groupe n’hésite absolument pas à clamer haut et fort ses convictions et ses droits. Choices ne fait au final que rappeler un principe qui devrait être fondamental « my body, my choice ». Les membres masculins du groupe prennent d’ailleurs le micro en chœur pour soutenir cette position. Avec Don’t Fence Me In, le groupe réussit aussi à poser des angoisses partagées par beaucoup de femmes mais qui parleront collectivement. Refusant la catégorisation, refusant les étiquettes, refusant les barrières limitantes posées sur des critères absurdes, Amy explose le plafond de verre. 

L’album sait aussi parfaitement prendre des tournures beaucoup plus légères. Sur un rythme plus sautillant, Amy se fait pilier de bar recalée par la Security, pourtant seulement en quête d’amour. Elle pourrait aller sur les applis, mais c’est vrai qu’il y a moins d’alcool. Sans vouloir faire les psychologues de comptoir, il parait assez clair qu’Amy est une âme tendre qui a souffert de l’image que les gens voulaient percevoir d’elle. Le pub, allégorie du coeur? Laisser tomber l’armure, et laisser rentrer Amy. Le groupe se laisse aller à des mélodies sur le refrain, toujours dotée de l’efficacité punk du groupe. On se laissera tenter de sortir le même plaidoyer la prochaine fois qu’on se fait recal. Après tout l’amour est plus fort que tout.

D’ailleurs, qu’êtes-vous prêts à faire par amour ? Amy, traumatisée par son confinement entre quatre murs ne demande que peu de choses à son mec: une escapade au vert. Hertz est sans aucun doute le morceau le plus explosif de l’album. Hertz balance les rythmes saccadés d’une Amyl en mal de nature et d’air frais. Un son redoutable d’énergie, sautillant comme sa chanteuse, et téméraire comme son poings qui dégomme un néon. Elle a bien fait d’exiger son escapade champêtre. Exprimant surtout un sentiment collectif, on a envie de l’écouter en hurlant dans sa voiture. C’est d’ailleurs le mulet face à la mer que l’on retrouve la charismatique leadeuse dans le dernier clip sorti pour l’occasion.  Elle se gesticule de façon épileptique au-dessus des placards, ou dansant avec furie dans les hangars de la ville. Esthétique d’une working class étouffée dans une ville grise, sale, et violente.

Les relations peuvent parfois d’ailleurs virer au désastre si ce n’est la société qui vous maltraite. Amy n’hésite pas à exposer ses failles et ses échecs avec le panache rock n’ roll de No More Tears ou la ballade punk Knifey. Cette dernière est particulièrement poignante quand elle expose sa vulnérabilité la nuit, usant de tactiques pour se protéger des agressions comme trop de femmes sont obligées de le faire. Même une nana aussi badass qu’Amy est confrontée à son désir de vivre libre, mais est parfois tétanisée par la peur. Une réalité qui vous revient comme un coup de poing dans l’estomac.

Avec Laughing, c’est le combo entre la facette militante et le côté plus personnel. Exposant tour à tour des faits essentiels comme être toujours intelligente en s’habillant sexy puis les moqueries dont elle a été victime, on comprend que le parcours de la libération ne s’est pas fait sans sacrifices. Le monde extérieur n’est qu’un élément limitant pour une personnalité comme Amy. C’est avec son groupe, ses soutiens qu’elle trouve aussi la force de s’assumer et de s’exprimer. Une prise de pouvoir féministe et punk d’une efficacité absolue. 

Condensé de rock n’ roll, de punk et de rap, Amyl and the Sniffers conserve une recette qui marche, la prise de risques en plus. S’attaquant à des refrains plus mélodiques, des sujets plus personnels et des prises de paroles plus engagées, le groupe revendique sa place. Truffé de pépites absolues, certains morceaux deviendront sans nul doute des classiques du genre, qui nous feront pogoter (dans l’inclusivité) comme jamais. 

La conclusion de cet album : le monde n’est pas prêt pour une Amy Taylor, ou du moins ne la mérite pas.