Amasia de Fragments, une œuvre à toucher et à écouter

Le trio Fragments a sorti le 23 septembre dernier un nouvel album, Amasia, entre post-rock et electronica. La particularité ? Il est accompagné d’illustrations de l’artiste Flobath, recueillies au sein d’un livre, bel objet, teinté de gris et noir.

Fragments est entré dans ma vie il y a déjà plusieurs années. Je découvrais un jour, au gré de mes pérégrinations sur Bandcamp, leur premier album, Imaginary Seas, sorti en 2015. Le trio breton chamboulait alors mon quotidien et j’écoutais en boucle ce disque, où le post-rock côtoyait les émotions les plus pures.

Puis, en 2018, le groupe inventait un ciné-concert autour du film Fargo des Frères Cohen. Songs for Marge devenait donc la bande officieuse de ce film sorti en 1995, et qui reste aujourd’hui encore une référence dans le paysage cinématographique. Une grande tournée, et enfin l’occasion de les découvrir en live, dans une salle obscure. Mais tout de suite cette hâte de les revoir dans une salle de concert, debout, dans un autre format.

L’attente fut longue. Mais elle valait le coup. Car aujourd’hui je vous parle d’Amasia, un livre-CD imaginé en collaboration avec l’illustrateur Flobath (Florian Mallet), qui est sorti le 23 septembre. Deux ans durant, les artistes ont travaillé sur cette nouvelle création singulière, où livre et album sont conjointement liés. Sur la couverture, en gris et noir, trône une antenne-satellite, recouverte de végétation, dans un lieu qui semble abandonné, dominé par les collines en fond. Et lorsqu’on tourne délicatement la page, en exergue, ces quelques mots :

Dans un futur proche, une rupture écologique a redistribué les cartes de la biodiversité. La nature reprend ses droits, les populations ont migré vers l’hémisphère sud tandis que les mégalopoles du XXIe siècle ont été désertées et sont devenues des villes friches.

Quelques années plus tard, des explorateurs ont tiré profit d’une accalmie pour cartographier les espaces inexplorés.

Bienvenue dans ce monde post-apocalyptique, hypothétique futur continent, alliance de l’Eurasie et de l’Amérique et formé par la convergence des plaques tectoniques. Nous sommes ici les explorateurs et exploratrices, et nous allons traverser, ensemble, cette terre naissante.

Avec ce projet, Fragments s’éloigne un peu de son post-rock originel pour se rapprocher musicalement de ce qu’ils avaient déjà imaginé avec Songs for Marge. L’electronica est partout. Proche de l’ambient. Car comment mieux retranscrire ce climat d’anticipation SF que par des glitchs, des sons ouatés et modifiés ? Les synthétiseurs, omniprésents, nous offrent des nappes nébuleuses et saisissantes. Des frappes sonores et incisives.

Amasia se perçoit comme un voyage narratif et immersif, entre image et son. Chaque morceau est lié à un paysage différent, que Flobath a illustré. Sous nos yeux, 11 tableaux distincts. 11 versions d’une vie qu’on ne connait pas. Et à chaque fois, quelques mots sur cette terre, cette île, ce plateau, ce champ.

Île fantôme ouvre l’album. Tout de suite, les synthés nous immergent dans ce monde inconnu, avant que le rythme ne s’intensifie sur la seconde partie du morceau. Techno futuriste qui dérive vers Plateau, que j’ai longuement écouté le matin dans les transports en commun. Mélodie entêtante, rehaussée de percées lumineuses. Puis surgit Undae, en collaboration avec le multi-instrumentiste Thomas Poli, le magicien qui a enregistré l’album et que l’on retrouve derrière différents projets, comme ceux de Montgomery ou Laetitia Sheriff. Fragments s’entoure d’artistes plus talentueux les uns que les autres. Pinacle par exemple a été enregistré par Amaury Sauvé, dans son studio, à Laval. De la synthwave qui revêt néanmoins un aspect plus indus’.

L’exploration se poursuit en douceur avec Caldeira et Isthme, avant d’atteindre le point culminant avec Inlandsis. Paysage polaire face à soi, magie ambient et électronique. Puis Toundra, et Taiga. Maar et Méandres. Des noms poétiques pour des morceaux ambivalents et disruptifs. Ça et là, nous voilà happés tantôt par la caisse claire, tantôt par les synthétiseurs.

Avec Amasia, Fragments construit une œuvre singulière, fruit d’une collaboration créative et ambitieuse, où l’objet reprend toute sa place. Les morceaux, narratifs et aériens, appuyés par les illustrations de Flobath, traduisent à merveille les maux de cette époque. A chaque page tournée, nous pénétrons plus profondément dans les méandres de leur création, dans les recoins obscurs de nos esprits et les angles morts de la société actuelle.

Le nouvel album de Fragments dessine donc les contours d’un voyage inconnu, entre paysages opulents et fastes, villes industrielles désertées et cités oubliées.

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