All Mirrors : le bijou envoûtant d’Angel Olsen

Ne cherchez plus, l’album de cette fin d’année vous tend l’oreille. Sur fond d’incertitudes et de perception de soi, où les instruments à cordes prennent davantage d’importance, Angel Olsen nous transporte dans une introspection qui vacille entre chagrin et désespoir d’un lendemain meilleur.

Après un premier album purement folk, la native de St. Louiss’est montrée plus électrique avec l’excellent Burn Your Fire For No Witness avant de confirmer sur son dernier opus de qualité (si l’on excepte Phases en 2017 qui regroupait des démos) nommé MY WOMAN, à la fois rock et lancinant. Dans ce dernier, porté par le puissant Shut Up Kiss Me, elle nous confiait la difficulté de devenir femme et doutait de trouver l’amour éternel. Le déchirant titre Woman, d’une durée de près de neuf minutes, faisait allusion quant à lui à cette séparation douloureuse où chacun a envie de rester proche et connecté, ce qu’on appelle aujourd’hui « être frex » (pour « friends » et « ex »), comme si tout ce qui a été entrepris n’était pas négatif…

All Mirrors pourrait se placer quelques jours suivant ce moment difficile : la souffrance s’estompe peu à peu pour laisser place à un printemps annonciateur d’une nouvelle renaissance incertaine. Et cela tombe bien car l’un des titres les plus positifs se nomme Spring. Là encore, la chanteuse et guitariste évoque une rupture mais celle du passé, quand elle avait la vingtaine et vivait sans penser au lendemain jusqu’au jour où un enfant débarque dans sa vie. Toujours en quête d’amour éternel, elle espère qu’elle tient l’être qui va lui apporter ce qu’elle recherche : « So give me some heaven / Just for a while / Make me eternal / There in your smile ».  Sa voix est fragile et résonne sur chaque couplet marquant la rêverie dans laquelle elle nous plonge. Le point culminant de ce voyage dans les limbes se situe durant le pont instrumental, les notes du clavier et le synthé nous laissant chancelants.

Avant de nous bercer sur la cinquième piste de cet album, Angel Olsen fait encore le deuil de ses sentiments. Elle débute ainsi plutôt fâchée avec Lark où elle déplore le manque de confiance et de soutien dans une relation où les envies changent «Hate can’t live in this heart here forever / Have to learn how to make it together». Quand le cœur est brisé, la colère vous envahit et c’est là que vient ce moment saisissant de la piste où Angel Olsen s’écrie « What about my dreams ? What about the heart ? » dans une distorsion d’instruments à cordes qui prennent le dessus sur sa voix pour une fin majestueuse et tragique.

Cet orchestre de cordes qu’on retrouve dans huit des onze titres renforce ici la situation dramatique et rythme les différentes parties de l’album. Pourtant, Angel Olsen a commencé l’élaboration de son œuvre comme ses premiers albums : avec sa voix et sa guitare. Puis l’ensemble s’est combiné et enrichi par la collaboration de Ben Babbitt, compositeur de musique connu pour avoir réalisé la soundtrack de Kentucky Route Zero. L’ambiance de l’album en devient cinématographique à tous les instants avec ce mélange de synthétiseur et de cordes. On les retrouve dans le titre éponyme All Mirrors où ils prennent une place prépondérante et rappellent étrangement Clubbed to Death de Rob Dougan, au milieu de la piste. C’est d’ailleurs à ce moment clé qu’Angel sombre et se replie sur elle-même.

Cependant, comme l’indique le titre de l’album, Angel Olsen se montre lunaire en affichant différentes facettes de sa personnalité. Dans New Love Cassette, elle joue de sa voix grave puis légère pour avouer ses sentiments avant de se moquer d’elle-même sur What It Is dans un rythme plus ludique :  « That your heart was full of shit / You just wanted to forget ». Elle finit par accepter et se retrouver en paix avec ses déboires amoureux dans Tonight, titre somptueux porté sa voix basse et les cordes qui l’entourent, une production digne d’une romance hollywoodienne.

Alors qu’on pourrait penser virer vers une phase plus enjouée, Angel Olsen nous emmène vers de nouvelles contrées dépressives sur le rythme chevauchant de Summer : « And all those summer days were like a dream / Woke me from a restless sleep / Made me quiet, had me weak ». L’artiste aime jouer sur les paradoxes pour partager ses confidences par sa musique : l’été, malgré ses couleurs et ses parfums, lui remémore ses moments de mal-être.

La mise en scène de sa vie se clôture en beauté avec le sublime Chance. La voix est plus douce sur les notes de piano. Angel Olsen renonce définitivement à l’amour éternel et ne souhaite qu’apprécier le présent : “It’s hard to say forever love / Forever’s just so far / Why don’t you say you’re with me now”. Le titre finit avec une envolée de violons plus réjouissant pour une fin magnifique.

On ressort ébloui de cet album. Angel Olsen a voulu nous perdre à plusieurs reprises sur ses intentions par ses chants si variés mais c’était au final pour mieux exprimer toutes les émotions qu’elle a connues durant sa vie adulte. Les sujets abordés sont familiers et pourraient être retranscrits à notre propre expérience sur grand écran grâce à une production musicale bluffante. Cette jeune musicienne talentueuse signe un quatrième album qui se démarque de ses précédents et se place comme l’un des meilleurs de cette année. Vous êtes prévenus.