ADN #95 : Roman Rappak (Miro Shot)

ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Avec ADN, La Face B part à la rencontre des artistes pour leur demander les chansons qui les définissent et les influencent. Aujourd’hui c’est Roman Rappak, tête pensante musicale du collectif Miro Shot, qui nous parle des morceaux qui constituent son ADN musical.

Vertigo – Prelude and Rooftop

C’est pour moi vraiment la démonstration de frontières entre le cinéma et la musique qui deviennent de plus en plus floues. C’est une musique de film qui est plus narrative que la majorité des films, pour un film qui a plus de musicalité que la majorité des symphonies.
C’est important de savoir où Hitchcock en était de sa carrière et ce qu’il représentait à l’époque. C’était un réalisateur un peu mainstream et ce film était un peu l’équivalent d’un énième blockbuster pour l’époque. Sauf qu’Hitchcock y a caché des messages d’une noirceur et d’une complexité incroyable dans un film que le public regardait comme si c’était un film à l’eau de rose. On peut voir Sueurs Froides comme un film hollywoodien banal ou comme le film qu’on analysera jusqu’à la fin de notre vie. Ça a plusieurs couches et interprétations, tout comme sa bande son. La pièce de théâtre immersive Sleep No More que j’ai eu la chance de voir a New York, étalée sur cinq étages d’un vieil hôtel à Manhattan, utilise la musique de Bernard Hermann, au moment où l’on sort d’un ascenseur et l’on rentre dans une forêt d’arbres morts et de fumée..

Talking Heads – Born Under Punches

Cette chanson aura toujours une place spéciale dans mon coeur. Non seulement parce que c’est le moment où Talking Heads redéfinit la musique populaire, mais aussi car le livre de David Byrne, “How Music Works” m’a totalement changé la vie, et faisait partie de la raison pour laquelle j’ai voulu mettre fin à mon ancien groupe, Breton, et commencer quelque chose de nouveau. Dans son oeuvre, Byrne parle de l’histoire de la musique en tant que son contexte – que nous sommes toujours en train d’écrire ou d’écouter de la musique créée pour un endroit ou un moment spécifique : que ce soit Talking Heads qui écrivent des chansons qu’ils savaient auraient de la réussite aux CBGBs, des moines grégoriens qui créent de la musique pour les cathédrales du 12e siècle, ou les membres d’une tribu Masaï qui jouent des chansons folkloriques à l’extérieur. Nous nous sommes rendus compte qu’on avait besoin de fonctionner comme un groupe qui jouait dans un nouveau contexte, qui était uniquement de cette époque et qui saisissait les fonctionnalités interactives, les avatars, les jeux vidéos, l’expérience immersive et la simulation. C’est pour cette raison-là que nous avions commencé notre spectacle en réalité virtuelle en tournée secrète pendant que nous écrivions l’album.

Pusha T – Numbers On The Boards

Il y a des moments dans ma vie où je perds toute ma passion pour un artiste, un genre ou une ambiance. Il y avait un moment où je me suis vraiment lassé de la musique hip hop. La Trap avait achevé une sorte de vitesse de chute après avoir été si palpitant, et j’avais l’impression qu’elle avait perdu ce qui la rendait intéressante. Et puis soudainement cette chanson est sortie. J’étais à un tournant dans ma vie où je me demandais ce qui allait suivre… et puis je suis tombé sur ce son. C’était à un certain moment de ma vie où je me demandais ce que j’allais pouvoir faire ensuite, et là tout d’un coup c’était comme s’il y avait un nouveau monde et de nouvelles perspectives qui s’offraient à moi.

The Fall – Big New Prinz

The Fall sont l’un des groupes qu’il est quasiment impossible de vraiment comprendre, difficile même d’apprécier, mais les comprendre ne serait-ce qu’un peu c’est mieux appréhender l’histoire de la musique britannique. L’expression « artiste emblématique » est utilisée de manière excessive, mais dans le cas de ce groupe c’est parfaitement fondé – The Fall n’a jamais vraiment vendu beaucoup de disques, mais ils ont laissé une trace indélébile sur la musique. On pourrait se demander si la même chose n’est pas vraie d’autres groupes comme Joy Division, The Smiths, The Cure, Buzzcocks, The Clash, mais c’est vraiment The Fall qui sont parvenus à fondre le mythe avec la réalité, le grand art avec du punk trash, et la dystopie avec un possible future optimiste. Ce que j’aime particulièrement dans ce spectacle c’est qu’il est passé à la télévision nationale, présenté par Tony Wilson (qui a joué dans le film 24Hour Party People). The Fall a appris à notre groupe comment prendre la musique TRES au sérieux, mais au contraire se foutre de nous-mêmes.

Herzog – Clark

Cette oeuvre a changé ma vie, mais ça n’est pas venu dès la première écoute. Il a fallu que j’absorbe graduellement cette chanson. Ça m’a infecté mais je ne m’en suis rendu compte que plusieurs semaines plus tard… C’est comme le COVID19 sous une forme audio, sans les masques et les interminables sessions Zoom. Ça m’a toujours semblé être une déclaration surréaliste, tu avances à travers ces différentes étapes : D’abord, tu penses « Ça n’a aucun sens, ça n’a même pas de début ! » Ensuite, tu te dis « Attends… ce n’est pas de la vraie musique, c’est juste quelqu’un qui force des machines à faire des sons… Il n’y a aucune structure, ça n’a ni milieu, ni fin ! »Puis tu penses « Oh mon Dieu, c’est magnifique » Tu construis une relation qui t’aide à comprendre d’autres chansons que tu as déjà entendues précédemment et qui n’avaient aucun sens jusqu’ici. Tu retournes à ce que tu pensais être des chansons « normales » et certaines auront perdu leur signification à tes yeux.

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