ADN #321 : Bleu Reine

ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Avec ADN, La Face B part à la rencontre des artistes pour leur demander les chansons qui les définissent et les influencent. Bleu Reine nous présente aujourd’hui les titres qui composent son ADN musical…

Crédit : Cédric Oberlin

Alain Bashung – La Chanson du Loup

Cette chanson que j’aime beaucoup me donne l’occasion de parler de deux sujets qui me sont chers : l’enfance, et Bashung. Elle est extraite de la comédie musicale dite «pour enfants» Émilie Jolie, dont j’ai ravagé la cassette audio pendant une partie des années 1990. Mon père me chantait a toute vitesse la chanson du hérisson pour me faire rire quand je mangeais mes œufs à la coque, ma mère fredonnait la chanson d’Emilie…

Toute la galerie de personnages qui se succèdent dans ce conte musical est un prétexte génial à accentuer les traits de caractère des interprètes en fait, et c’est particulièrement valable pour ce morceau que chante Bashung je trouve. Comment résister à ce loup méchant devenu gentil chien, qu’on imagine comme une sorte de grand goth un peu solitaire exaspéré par l’humanité jusqu’à ce qu’il soit apprivoisé par une gentille fillette bouclée.

J’aime tout dans ce morceau, l’ambiance sixties kitschouille façon Cry Baby, le fameux parlé chanté si magnétique de Bashung, la phrase « tout est à l’envers c’est une triste époque » (qui aujourd’hui réunit tant la plupart des usagers de la planète Terre, à la différence que certains utilisent ce constat pour râler pendant que l’autre moitié l’utilise pour agir). 

Nirvana – Plateau 

On arrive au tout début de l’adolescence : au collège Lakanal de Colombes, les apprentis rappeurs sont dans un coin de la cour avec des AirMax ; les apprentis rockeurs dans le coin d’en face avec des Eastpacks noirs ensevelis sous les patches, comme des mini drapeaux pirates sur l’océan – on annonçait nos pavillons Slipknot, Slayer, Nirvana.

Avec ma cousine du même âge, que je ne voyais qu’en vacances, on se refile avec passion nos trouvailles à cette époque là. J’aurais écouté n’importe quoi pourvu que ça ne soit pas issu de la discothèque de mes parents, pour le coup. Bref : elle et moi, on est comme deux infiltrées, je lui trouve des trucs pour forger sa street cred auprès de ses copains hippies, elle m’en trouve pour que je puisse faire pareil auprès des copains rockeurs.

Un soir chez elle, en revenant d’une tournée des bonbons Halloween dans son village, elle me fait écouter le MTV Unplugged de Nirvana et je dégringole mentalement, c’est bête mais ça a été un choc ; le trajet entre cet album et moi a été très direct – d’autant que je ne réalisais pas combien il était hautement recommandé d’écouter ce groupe si on voulait accéder au statut social de « rockeur » dans les couloirs du collège.

Ma cousine m’a gravé le CD et je l’ai écouté avec beaucoup d’attention pendant plusieurs semaines. La chanson qui m’a le plus bouleversée est probablement celle-ci, notamment la voix de Kurt Cobain qui s’éteint dans les grave et se brise dans les aigus !

Pour moi ça a non seulement été une révélation de type « ok, on a le droit de se mettre en danger musicalement, vocalement », mais ça a aussi déplacé le curseur permettant de savoir si une chanson/un groupe est ROCK ou pas : contrairement à des groupes de hard rock que j’écoutais déjà à cette époque, sur cette cover de Plateau je trouvais que le côté ROCK était tellement plus intéressant et abrasif lorsqu’il venait de la voix plutôt que lorsqu’il venait de partout en même temps. 

Josh Homme & Pj Harvey – Crawl Home 

Fast (ou semi-fast plutôt) Forward : à la rentrée en seconde, en 2006, je rencontre ma meilleure amie Sarah. C’est elle qui m’embarque dans ce qui est devenu une fan attitude à l’égard du groupe Queens of the Stone Age, et de son leader Josh Homme ; une pente raide très proche du culte, sur laquelle on s’entraîne mutuellement pendant des années (encore un peu secrètement aujourd’hui).

L’approche de la guitare, de l’écriture, l’équilibre entre le beau et le bizarre, tout m’a attirée très rapidement et intensément à cette période dans la musique de QOTSA. On a dû les voir peut-être 10 fois en concert, on usait nos disques qu’on « révisait » comme des cours, c’était vraiment LE sujet qui cristallisait ce côté « lave en fusion » / adorer ou haïr «  de l’adolescence. En fouinant de plus près je tombe sur leur projet des « Desert Sessions », une série de disques immortalisant des chutes de studio entre potes (certaines étant devenues des tubes bien plus tard, comme « Make it wit chu » qui était à l’époque un featuring entre QOTSA et… PJ Harvey).

Pour mon petit coeur de rebelle douce, la perfection au féminin c’était cette femme anglaise incroyable que je venais de découvrir également. Sur ce titre Crawl Home entre elle et Josh Homme, elle possède vraiment quelque chose de très « PJ-esque » en plus et lui quelque chose de « Hommesque » : elle avec son phrasé très hanté, presque dissonant, qui fait de la magie avec 3 notes, et lui avec ce gimmick vocal très pop années 60, super haut perché, qui vient dialoguer avec le riff très crade. Bon, écoutez-la, je vous promets que tout est comme décrit sur mon annonce. 

Kate Bush – Wuthering Heights 

J’ai du mal à parler de cette chanson et de Kate Bush sans tomber dans le drama des superlatifs, je vais donc m’efforcer de rester sobre et informative.

La première fois que j’ai identifié ce titre j’étais au service photocopies de la Sorbonne, on peut donc dire que j’ai découvert vraiment Kate Bush assez tard et un peu par hasard alors que j’aurais eu mille occasions de la rencontrer avant (déjà parce que ma mère est son sosie mais passons).

C’était sur une radio pour parents, style RTL2 ou Nostalgie, et par chance le mec a foutu un gros fade out immonde pour commencer à annoncer le titre de la chanson A LA PLACE du solo : j’ai donc pu noter qui était à l’origine de cette mélodie d’un autre monde. En plus j’ai eu le plaisir d’écouter la version non charcutée en rentrant chez moi, AVEC le solo (putain mais : ce solo, peut-on parler du degré de maboulitude cosy, de ce degré de kiff ultime, où quand tu l’écoutes t’as à la fois l’impression que c’est la fin du monde et le début d’une nouvelle vie).

Blague à part, c’est cet énorme tube découvert très tard qui m’a ouvert une porte béante sur l’univers de Kate Bush que je n’ai jamais cessé d’explorer. Car j’étais sortie de l’adolescence mais pas de la curiosité, j’ai donc étudié avec calme et sans adrénaline superflue les différents chapitres de sa discographie si fabuleuse, si variée et si magique (d’ailleurs par certains aspects je trouvais qu’Emilie Simon, une autre artiste que j’appréciais beaucoup, avait des petits côtés Kate Bush*).

J’aurais pu mettre 13098 autres morceaux d’elle, mais je resterai toujours particulièrement attachée à celui-ci même si c’est évidemment le plus connu. Une partie de moi a fermement décidé qu’il serait la bande-son de mes funérailles, car c’est vrai qu’il contient tout le drama nécessaire au deuil et toute la lumière nécessaire à la guérison du deuil.

* Je me suis demandé si le son de clavier du bridge à 2min33 sur Wuthering Heights est le même que celui utilisé en intro de Mon Chevalier d’E.S. , et si c’était un hommage déguisé, ou un hommage bof déguisé, ou juste rien du tout. Mais libre à chacun de mener son enquête, transmettez moi vos résultats.

Françoiz Breut – L’affaire d’un jour

Alors : là, on sort complètement des trucs tubesques et évidents, pour entrer dans l’ère où je commençais avec ma double identité BLEU REINE (2018).


Une, deux, puis plusieurs personnes m’ont dit que ma voix et mes chansons leur rappelait cette artiste, que je suis vite allée écouter : ça tombait bien, j’étais déjà vraiment sous le charme de la musique de Dominique A, j’apprends qu’ils ont partagé leur vie pendant un temps et produit un certain nombre de morceaux / albums ensemble.

En effet, on retrouve la patte des deux sur quelques belles chansons, et je dois dire que la trajectoire artistique de cette femme m’a autant plu que celle de son ex-mari en fait. Sur ce morceau en particulier conjugue plusieurs éléments dans lesquels je me reconnais – je ne cherche pas à dire que ma musique est du même niveau que la sienne, mais je pense qu’il n’est pas mensonger de nous classer dans la même catégorie, disons.

J’aime l’utilisation du rythme ternaire très lent comme une sorte de balançoire tragique, lancinante, nonchalante, venant raconter la fin d’une histoire d’amour qui n’est plus aussi belle qu’avant. C’est un morceau que je trouve très romantique, avec un texte si beau et triste (« mes yeux sont comme des lacs gelés » , le pseudo msn qui aurait couché tout le monde en 2004), des arrangements un peu « grand ouest » avec de l’acoustique et de l’électrique imbriqués de manière vraiment très futée.

Si je dois être honnête : c’est un morceau que j’aurais adoré écrire, et que j’imagine avoir été inspiré par une vraie rupture. Jusqu’à présent, il n’y a qu’une rupture qui m’ait laissée vraiment l’impression que quelqu’un avait ouvert mon coeur dans le sens de la longueur avec un couteau à pain ; et j’ai un immense respect pour les artistes qui arrivent à faire du beau, du subtil, de l’universel (et du francophone !) avec un sujet aussi complexe.

Cet état de dévastation émotionnelle dans lequel peut nous laisser une rupture douloureuse, c’est à la fois une mine d’or à apporter chez son psychanalyste et une immense valise aux roulettes cassées qu’il faut se trimballer dans les couloirs du métro Châtelet Les Halles.


Françoiz, du coup, une discrète mais solide role-model dans ma quête de la parfaite chanson française à écouter dans un cottage en regardant tomber la pluie. 

(Re)Découvrir Bleu Reine :

Lire notre article Not Dead Project sur Bleu Reine ici.

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