2022 – Les coups de Coeur de La Face B – Acte VII

Peut-être plus que les autres années, 2022 aura été riche d’albums forts, et ce, dans tous les genres possibles et imaginables. La rédaction de La Face B a donc aiguisé ses plus belles plumes pour vous offrir ses albums coups de cœur du cru 2022. Sans plus attendre, la septième partie de notre sélection.

Porridge Radio – Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky  (Marine)

Porridge Radio. J’étais passée un peu à côté, je ne suis pas allée les voir au Pitchfork en novembre dernier. Et puis, il y a quelques semaines, au gré de mes pérégrinations musicales, je découvre Eugh de l’album Rice, Pasta And Others Fillers (2016). Alors, je l’écoute en boucle. Sans jamais m’épuiser. Sans pouvoir faire autre chose qu’écouter un seul titre. Puis, ma boulimie s’est diluée. C’est là que survient Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky. Sorti le 20 mai 2022, c’est le troisième album du quatuor anglais. 

Il s’en dégage une force mélancolique, quelque chose de brûlant et vif. Alors depuis une semaine, depuis que ma vie s’effrite et s’étiole, je l’écoute. Encore et encore. Encore et encore. À la recherche de détails que je n’ai pas encore découverts. À la recherche de réconfort. 

Birthday Party et ces phrases « I don’t wanna be loved », répétées en boucle, de plus en plus fort. Jusqu’à ce que tout cesse. 

Flowers, cette ballade pop aux chœurs resplendissants. Le piano et la voix de Dana Margolin. 

Jealousy, des sons étouffés et toujours ce piano. Et toujours sa voix, écorchée et chaude, pour s’avouer. Pour avouer ses faiblesses. Sur le fil, presque cassée. Presque tranchante. 

Finalement, The Rip. Celle que j’ai répétée maintes et maintes fois. Attendant ce moment où la voix de Dana se brise et s’épuise. « And now my heart aches ». 

Jeanjass – Doudoune en été (Enzo)

N’étant pas 100% convaincu par l’album Hat Trick, sorti en 2021, j’attendais beaucoup de Doudoune en été du king de Charlouz JeanJass. Mais heureusement, il m’a totalement fait changer d’avis, et m’a prouvé que double J était un pilier du rap belge.

Il s’agit sans aucun doute de l’album le plus abouti de JJ. On peut retrouver un JeanJass au sommet de son art, mélangeant les rimes et les instrus incroyables, produites quasiment toutes par ses soins. Je ne m’étais pas encore réellement penché sur le travail de beatmaker de JeanJass, mais après ce projet et le son du Grünt où lui et Caba performent, je suis totalement séduit.

J’ai été surpris par le titre Le Six, en feat avec Fuku, et le morceau Dans le mur (meilleur son du projet !). Je ne pensais pas voir le J dans un style qui peut différer, comme une sorte de G-funk ou autre. Il reste quand même sur les bases que j’aime beaucoup chez lui, sa simplicité à nous communiquer ce qu’il ressent dans des métaphores dont lui seul a le secret. On discerne aussi une plus grande sensibilité dans ses écrits, sûrement grâce à l’arrivée de sa fille il y a quelques années.

JeanJass m’a fait aimer le rap il y a des années, et quel bonheur aujourd’hui de le voir sortir un projet presque sans faute, et surtout l’un des meilleurs de l’année.

Jazzy Bazz – Memoria (Manu)

La très fine fleur du Rap français n’a pas attendu longtemps avant de se montrer en cette année 2022.  C’est en janvier que Jazzy Bazz a fait son grand retour avec son quatrième album studio : Memoria. Armé de sa plume aiguisée et de son “putain de Jazz”, le Parisien démontre une nouvelle fois tout le talent qu’il couve depuis des années. À travers ce nouveau projet, le rappeur fait de nouveau part de son spleen latent, qu’il exprimait déjà sur La Route du 3.14. 

En arborant des productions à mi-chemin entre tradition et modernité, celui ayant Paris comme âme-sœur se montre ouvert. Le grand savant du Rap français démontre ici une vraie évolution, une tentative de faire avancer son art. C’est un projet sur lequel on retrouve également un casting qui fait encore plus briller les matériaux s’y trouvant. Alpha Wann, Nekfeu, Josman, EDGE, Laylow et robdbloc, on a à faire à une distribution de grande classe. Avec Memoria, Jazzy Bazz franchit une nouvelle étape dans sa carrière et met en avant tout son panache et son savoir-faire. 

Médine – Médine France (Martin)

Dans une année 2022 ô combien politique, avec ses élections présidentielles, puis législatives, il était important de ne pas perdre ses repères. Ces événements ont contribué à ma construction politique, entamée quelques mois plus tôt, et les punchlines d’un artiste comme Médine ont sonné dans ma tête comme autant de rappels et de prises de conscience. Liberté, égalité, fraternité, c’est ça ma France, pas celle qui réduit les allocations chômages ou qui passe à l’heure de pros. L’œil du père Médine, éveillé depuis le premier jour, s’est encore affirmé dans Médine France, construit presque comme une campagne électorale. Ça fait du bien, des artistes qui prennent position, qui dénoncent.

C’est pas toujours simple de rester en phase avec son temps quand on construit une carrière sur la durée. Pourtant, le son de Médine n’a jamais été aussi moderne, aussi connecté aux sujets de son époque. Loin des fantasmes des identitaires, sur ses 16 titres il aborde tous les sujets : laïcité, origines des uns et des autres, égalité de traitement, violences policières et sociales, racisme systémique… Ce n’est pas l’album le plus agréable à écouter, mais c’est celui qui m’a le plus marqué cette année. Mention spéciale à Ratata, qui emporte tout avec elle.

En plus, ce qui est bien avec Médine, c’est qu’il en entraîne d’autres dans son sillage. L’une des autres claques de mon année c’est l’album de Younes, quasiment fils spirituel tant les parallèles sont évidents (ouais, ils viennent tous les deux de Normandie). C’est aussi pour ça que Médine France est mon coup de cœur 2022. Dans cette capacité à inspirer, rassembler, semer les graines qui alimenteront la prochaine génération, c’est la marque des plus grands.

Lesram – Wesh Enfoiré (Pierre)

Ma définition du rap pourrait se résumer à l’écoute de Wesh Enfoiré. Entre authenticité, récit et maîtrise, Lesram cristallise plus d’une valeur du genre. Sans artifice, le parisien conte la vie du Pré-Saint-Gervais avec froideur. Toujours à l’équilibre entre fatalisme et espoir, il agit comme un reporter de terrain racontant ce que voient ces yeux. Sans jamais glorifier son vécu de rue, il n’émet que très rarement l’envie de s’en émanciper, même si cette dernière caractéristique lui apporte un spleen parisien d’un nouveau genre, qui infuse dans des sonorités aux accents boom-bap. 

En marge d’un écosystème qui carbure à la course aux certifications et à l’image, Lesram représente une certaine idée que je peux me faire de la passion. 

Adepte des multisyllabiques et de la rime qui fait mouche, il en fait étalage, mais toujours au profit du récit. Une facilité déroutante, qui découle d’une nonchalance presque insolente, en témoigne le quart d’heure de pure démonstration qu’il a livré à Grünt en cette fin d’année. 

Fairy tales in yoghourt – shape mistakes  (Pierre Pouj)

J’ai déjà chroniqué l’album, donc à part me paraphraser, je ne vois pas trop quoi faire. Donc allons-y. Malgré le fait que cet opus soit sorti que bien trop tardivement, même pas deux mois auparavant, j’y reviens assez fréquemment. Parce que sa poésie, parce que son épopée sublime dans laquelle on vogue, porté.e par un flot entremêlé de guitares et de voix magnifiques, parce qu’il est tout simplement touchant. Cet album est parfaitement orchestré, du début à la fin, de différentes couleurs, fait de zigs et de zags, dans lesquels notre esprit divague.

La voix de Benoît Guchet (Bantam Lyons, Classe Mannequin ou Yes Basketball) se prête agreablement bien au jeu. D’envolées lyriques en segments intimistes, le musicien fait ici montre de l’étendue de son talent. Ses anciens efforts, qu’on qualifierait plutôt de recherches, se concrétisent enfin en un premier album excellent, méditatif, contemplatif, un brin rock, mais surtout, et on ne le soulignera jamais assez, très poétique.

Diiv – Live at the Murmrr Theater (Léo)

Cette année 2022 aura accueilli beaucoup de bonnes surprises. L’une d’entre elles est le premier album live du groupe Diiv. L’album étant sorti le 17 novembre, les titres présents sur cet opus ne sont pas inédits, puisqu’ils figurent déjà sur les albums studio précédents du groupe. Cependant, les morceaux ont été revisités pour qu’ils puissent sonner différemment en live, tout en gardent leur âme d’origine, et cela se fait ressentir à l’écoute. C’est un album puissant et poétique, à la hauteur de ce que le groupe pouvait nous donner en live. Live at the Murmrr Theater a apporté à cette année 2022 une immersion musicale poignante et marquante.