2021 – Les coups de coeur de La Face B – ACTE VII

Si 2021 aura été une année presque aussi étrange que la précédente, elle aura vu malgré tout le retour à une certaine normalité. Surtout, elle aura été une année musicale très riche et foisonnante. La rédaction de La Face B a donc sélectionné ses albums favoris de l’année. Pour finir cette rétrospective, on vous parle des albums de Courtney Barnett, Lava La Rue et IDLES.

Courtney Barnett – Things Take Time, Take Time (Agathe)

En faisant fi des koalas et autres sports nautiques, l’Australie a engendré aussi une des plus brillantes compositrice de pop rock en la personne de Courtney Barnett. Venue de la banlieue de Sydney Courtney Barnett, n’a plus rien à prouver, elle a gagné ses lettres de noblesse du bout de ses doigts. Après avoir séduit le monde en 2015 avec Sometimes I sit and think and sometimes I just sit puis en 2018 avec Tell me how you really feel, la guitariste australienne revient avec un troisième album Things take time take time né d’une année de chaos.

On le sait si le monde semble s’être arrêté, la création elle n’a pas de robinet pour couper court à son jet intarissable et on attend bien une vague de nouvelles vocations dans les prochaines années. Pour certains artistes comme Courtney Barnett la pandémie mondiale a été l’occasion d’un bouleversement inspirationnel. Dans Things take time take time, on retrouve une artiste étonnement positive pour une rockeuse. Si l’on reconnaît bien son esprit dans le morceau d’ouverture Rae Street, les nappes oniriques de Here’is the thing, l’entêtant refrain de Before you gotta go ou encore la tendresse des paroles de If I dont hear from you tonight semblent être une preuve d’un colossal adoucissement. Une identité musicale passée à la moulinette d’une instrumentation simplifiée et d’un son beaucoup plus folk qu’à l’habitude.

Elle y dépeint des petits instants de vie, prononce des phrases rassurantes qui trouvent leur apogée dans Take it day by day.

Take it day by day you gotta put one foot in front of the other”. Façon petit mantra personnel. La décidement très inspirée Barnett poursuit : « Dont put that knife in the toaster, Baby life is a roller coaster, and there’s nothing wrong with getting older.” Décidément pas très punk. Alors notre australienne aurait-elle viré gourou du yoga pendant un confinement ?

L’explication vient de l’état d’esprit de la musicienne pré-covid. Au bout du bout, « not exhausted of touring or music, but just of life ” Courtney s’est tournée vers la lumière. Dans son dernier album c’est un peu de douceur, pour elle et pour les autres qu’elle distille à coup de pensées positives. Du big love que cette chère Courtney entend bien partager à ses proches. Une parenthèse dans l’œuvre de la trentenaire sans la vibe rock de ses dernières compositions mais aussi ce que l’on confinement et l’immobilisme mondial ont fait de mieux.

Lava La Rue – Butter-fly (Lucie)

Mon album de l’année est un EP. Quelques bons albums sont sortis en 2021, mais j’ai finalement découvert plus d’EPs prometteurs que d’albums comportant plus de 5 titres retenant mon attention. 2021, année de la monomanie et de l’humilité : je m’en tiens donc à un modeste EP que j’ai écouté en boucle, si l’on en croit les statistiques de Spotify.

Après avoir montré ses talents de rappeur.se dans les studios de Colors et sur plusieurs EPs depuis 2017, Lava La Rue est revenue avec un nouvel EP versatile, bien nommé Butter-Fly. Narrant la vulnérabilité de l’amour, l’étourdissement des crushes et les émois queers, le.a jeune londonien.ne entend désormais voler de ses propres ailes. Alors que la récente disparition de l’autrice féministe bell hooks nous amenait à relire All About Love, ouvrage majeur reconsidérant l’amour dans toute sa radicalité politique, c’est avec des papillons dans le ventre que Lava La Rue proclame également l’amour lesbien et queer comme « intrinsèquement politique ». À cet égard, Butter-Fly appartient bien à 2021 :  les sonorités trip-hop du morceau d’ouverture Magpie, le psych-pop-rap de Angel en featuring avec Deb Never – une autre de ces nouvelles musiciennes qui naviguent entre les genres –, la pop douce de G.O.Y.D. en dialogue avec Clairo

Comme dans le clip de Angel, western cyborg où Lava et Deb Never évoluent en cowboys du futur, la musique de Butter-Fly déplace l’esthétique hip hop et rave 90’s chère à le.a rappeur.se vers un ailleurs psychédélique. De Tame Impala au trip hop, du R&B à la trance, Lava La Rue multiplie les influences, mélange des styles propre à cette nouvelle génération de musicien.ne.s qui a su ouvrir une brèche dans la pop du futur, faille spatio-temporelle où l’on ne sait plus très bien si l’on écoute du rock ou du rap, et où cette catégorisation rigide n’a de toute façon plus aucune importance. Lava La Rue, Deb Never, mais aussi Erika de Casier et son R&B lustré ou la jungle sucrée de PinkPantheress (également deux très bons albums sortis cette année) : autant de musiciennes qui troublent les frontières des genres. « This world is for me, it’s my lavatown » chante Lava sur Lift You Up, et c’est tout ce dont on rêve. Les queers kids ont déjà gagné le futur.

IDLES- CRAWLER (Thomas)

Élire « le meilleur album de l’année » est une rude affaire pour moi. S’il me fallait n’en garder qu’un, ce serait Crawler de IDLES. Il est arrivé sur le tard, courant novembre, mais il a éclipsé bon nombre d’autres albums qui squattaient ma playlist des « titres les plus écoutés ».

Les confinements successifs ont fait muter le groupe britannique en une année à peine. Crawler est le manifeste d’un groupe qui, quand on le pense arrivé proche du sommet de son style, en découvre un nouveau plus haut encore, et l’atteint avec brio. Très différent d’Ultra Mono, on ne peut dire qu’il soit réellement meilleur, ce qui est certain en revanche, c’est qu’il est excellent.

Beaucoup plus introspectif, Joe Talbot expie, nous livre le catharsis vigoureux de vingt ans de traumatismes. Les instrumentations sont pléthoriques, sauvages, un énorme direct du droit en pleine face, pourtant, on se surprend à tendre l’autre joue. Le son du groupe est devenu massif, toujours sans concession, maintenant plus Post-Rock que Punk, peut-être même plus Post que Rock. En effet, les musiciens d’Idles s’amusent de sonorités rarement entendues sur des instruments pourtant

exploités jusque la moelle. La tension n’est jamais relâchée, chaque piste fait évoluer Crawler, par conséquent, l’oreille ne se lasse à aucun moment, trois-quarts d’heures d’une musique débordante d’énergie, une fougue électrique, électrisante même, un orage puissant avec quelques fois une belle éclaircie.

Le groupe a fini de défoncer toutes les barrières musicales qu’ils avaient pu rencontrer jusqu’alors, The Beachland Ballroom en est le plus bel exemple. Je pense qu’il sera bientôt difficile – et vain – de tenter de ranger le groupe dans une case ou un genre, ce qui place IDLES en précurseurs dans un Art en pleine mutation.