2020 – Les coups de cœur de la face B / Acte VII

2020 année étrange, 2020 année bousillée, mais 2020 année musicale malgré tout. Alors comme tout bon média musical qui se respecte, on a décidé de partager avec vous les albums qui ont fait battre nos coeurs en 2020. Pour ce septième acte, Océane, Anthony et François nous parlent de leur amour pour les albums de Soko, Porridge Radio et Rone.

Le choix de François : Rone – Room with a view

C’est avec le collectif de danseurs de La Horde et les 18 danseurs du ballet National de Marseille que Room with a View a vu le jour, désireux de mettre le sujet de l’urgence climatique sur le tapis, Rone et la Horde ont construit un ballet électronique qui se nourrit des thèses de collapsologie et des notions d’effondrement.
Ce n’est pas un album qui vient habiller les pas des danseurs ni mêmes les chorégraphies qui s’adaptent à la musique non, c’est tout à la fois, un manifeste grandiose qui touche nos sens et nous tient en haleine sur des sujets forts et nécessaires.

A l’image de l’album, pendant la représentation Rone se pose en hauteur de la scène, assis il allume une cigarette et contemple la scène. Ni acteur ni effacé du tableau, il assiste sans réel pouvoir aux enjeux qui se trament sous ses yeux, Room with a View c’est cette lucarne par laquelle chacun constate son passé, son présent et peut être par un prisme singulier redéfinit son futur.

Ces danseurs si importants et expressifs, ils sont la colonne vertébrale de ce projet, leurs respirations et leurs pas viennent rythmer le disque, plus qu’une liste de morceaux c’est une vraie oeuvre vivante, un coeur unifié qui pulse encore et encore.
Sur scène, lorsque ces corps s’animent c’est toute la salle qui ressent les ondulations et la force des gestes des 18 artistes, les chorégraphies nous interpellent et nous frappent par leur violence.
A l’écoute de l’album, on se prend facilement à espérer construire un avenir meilleur car on le sait elles peuvent être belles les créations humaines.
C’est le propos de Babel, mon morceau préféré, qui s’appuie sur ce mythe de la puissance de l’effort collectif, l’orgueil humain, et la civilisation. On y entend les danseurs nous livrer leurs meilleures injures au début du morceau comme une participation spontanée qui fait écho à la symbolique de l’origine de la diversité des langues. C’est dans cette idée de construction collective que le morceau nous emmène vers des sonorités exquises qui résonnent tel un accomplissement universel.
Au-delà d’un propos dithyrambique sur un album et une prestation à couper le souffle, le travail de Rone permet de prendre le temps de constater, toucher du doigt certains questionnements avec la possibilité pour chacun d’y trouver sa singularité et son interprétation.
Room with a View est un album pour les danseurs, pour les rêveurs, pour les ravers mais avant tout, pour les humains.

Le choix de Océane : Soko – Feel Feelings

Il existe ces albums qui vous marquent plus que d’autres. Ceux qui résonnent en vous, qui semblent dévoiler un bout de votre vie et vous appartenir depuis toujours. C’est en juillet dernier, quatre ans après l’inestimable My Dreams Dictate My Reality, que Soko signe son retour avec Feel Feelings, son troisième opus. Un retour lumineux que l’on attendait avec une impatience terrible, une interminable attente qui a su trouver réconfort auprès de ces douze morceaux teintés d’une mélancolie joyeuse.

Ce qu’il y a de fascinant chez Soko, au delà de cette grâce, cet air mystérieux et cette mine juvénile, c’est cet halo de lumière à la fois énigmatique et enjôleur, dont les rayons attisent notre curiosité et suscitent une admiration certaine à son égard depuis près de neuf ans déjà. Avec Feel Feelings, notre expatriée adorée dévoile un album arc-en-ciel, un album qui vagabonde parmi les émotions et les sentiments qui nous animent et apportent ce petit plus à l’existence. Soko ouvre un album où l’amour, ses complexités et sa beauté s’avèrent être les thèmes centraux. Elle évoque l’ensemble avec une justesse absolue, nous tend la main pour découvrir un univers qui n’est pas nôtre.

On s’y plonge sans l’ombre d’une hésitation et l’osmose y est alors absolue. On se plaît à apprécier cette tessiture aussi douce que du miel qui donne le ton à ce disque qui combat la morosité sentimentale, l’absence et l’inaccessible pour se tourner vers ce qu’il y a de véritable et de sincère. Feel Feelings, au delà des mots, est un album qui musicalement comble toutes nos attentes et pour lequel Soko a fait appel à ses précieux amis que sont James Richardson (MGMT), Sean Lennon ou encore Patrick Wimberly (Chairlift).

Des nappes synthétiques aqueuses et éthérées se mêlent à des guitares lo-fi et délicates qui ne cessent d’amplifier l’aspect onirique de ce disque. Elle y chante l’amour gourmand (Blasphémie), la nécessité de ne pas blâmer ses sentiments les plus sombres (Being Sad Is Not a Crime), la quête d’une moitié inespérée (Looking For Love), le passé qui abîme (Time Waits For No One) ou encore l’idéal perdu (Replaceable Heads). Ainsi, Soko nous aura délivré ce qu’il y a de plus sincère et puissant en elle avec cet album qui côtoie les étoiles et le merveilleux. L’excellence en un disque donc.

Le choix d’Anthony #2 : Porridge Radio – Every Bad

Le jeune groupe anglais de Brighton a sorti en toute discrétion son deuxième album Every Bad le 13 mars dernier, juste avant le premier confinement en France. Et à l’écoute de ce dernier, on peut d’ores et déjà regretter de ne pas pouvoir profiter d’eux sur scène, d’autant plus que le son du groupe a fortement évolué depuis leur premier essai Misery Radio en 2015. Le quatuor se distingue ici par la voix si charismatique de leur chanteuse Dana Margolin qui joue de ses cordes vocales sur chaque titre sur des instrus nerveux. Nous revoilà plonger de nouveau sur les bases de l’indie rock au début des années 2000 et cela fait toujours un bien fou.

Chacune des onze pistes abouties procurent des sensations fortes où règnent la confusion entre espoir et impuissance. C’est d’ailleurs les propos tenus par Dana sur l’ouverture aussi riche qu’un titre d’Arcade Fire : « I Was Born Confused So I don’t what’s going on ». Entre murmures et cris, les pistes ne font que monter crescendo. Les deux masterpièces de l’album sont Sweet et Long sur lesquelles la claviériste et choriste Georgie Stott accompagne les chants en échos. Les deux titres impressionnent par l’austérité mélodique installée ainsi que dans la maitrise des tempos et de la tension qui perdurent jusqu’à l’agonie. On en ressort ébahi par ces prestations jubilatoires.

Porridge Radio a de plus les atouts de parler de choses simples à une jeunesse empruntée par la période actuelle : le mal-être personnel et l’ennui. En plus, les arrangements poussés à l’extrême apportent sans cesse des émotions troublantes mais magnifiques que l’on retrouve notamment sur Circling et Lilac. La puissance de chaque piste provient aussi des mots répétés inlassablement par Dana Margolin pour s’auto-convaincre qu’il n’y avait pas d’autres échappatoire à chaque situation et que le bon choix a été fait.

Every Bad est sans aucun doute l’un voire le meilleur album indie en 2020 car il réussit à insuffler un renouveau à ce genre toute en apportant son authenticité. Porridge Radio a donc trouvé la formule gagnante en mariant la voix déchirée et poignante de Dana Margolin avec le sens de la mélodie, nous emportant ainsi dans une transcendance émotionnelle, ce qui nous manquait cruellement durant cette année.