2020 – Les coups de cœur de La Face B / Acte V

2020 année étrange, 2020 année bousillée, mais 2020 année musicale malgré tout. Alors comme tout bon média musical qui se respecte, on a décidé de partager avec vous les albums qui ont fait battre nos coeurs cen 2020. Pour ce cinquième acte, Héloïse, Camille, Damien & Noé nous parlent de leur amour pour les albums de Adrianne Lenker, SuperBravo et Perez.

Le choix d’Héloïse : Adrianne Lenker – songs

Cette année a été marquée pour moi comme pour beaucoup par l’enfermement et l’introspection qui s’en est découlée. songs, l’un des albums réalisés par Adrianne Lenker pendant cette période a été/est la B.O. de mon mode « ermite » de ces derniers mois.

La musicienne américaine a délaissé son groupe, Big Thief, pendant le confinement et a loué une cabane quelque part dans les montagnes du Massachussetts où elle a enregistré l’album composé de 11 titres ainsi que instrumentals, un second à la guitare et aux carillons. Un retour aux sources où la musicienne est seule avec son/ses instrument.s, sur songs, au chant et à la guitare.

L’album est intime et marqué par le jeu organique de la musicienne qui connaît son instrument par cœur et par sa voix douce aux aspérités libres et sauvages. Je me projette dans les paroles d’anything « I don’t want to talk about anything » ou « I don’t want to talk about anyone, I want kiss kiss your eyes (…)” et prends plaisir pendant un moment à faire abstraction de l’extérieur pour me concentrer sur l’intérieur. Le bruit de la pluie sur come pourrait être celle qui s’abattait sur la ville ce matin. Les bruits de nature, une voix en off, le son des doigts qui frottent sur le manche de la guitare… tous ces petits « riens », détails intimes et précieux, sont apparents sur cet album introspectif à l’apparente simplicité.

Sous la tonalité mélancolique des chansons, se trouvent des paroles poétiques, personnelles, subtiles et touchantes. Celles de dragon eyes par exemple, évoluent de « I don’t wanna blame you / I don’t wanna blame”, “(…)” “I don’t wanna tame you / I don’t wanna tame” “I don’t wanna change you / I don’t wanna change” “I just want a place with you / I just want a place” “You are changing me / You are changing” à “I just want a place with you / I just want a place” en un équilibre parfait. Puis l’album s’arrête abruptement à la fin du doux et dreamy my angel comme un magnétophone que l’on stoppe brusquement, déclic qui me fait parfois revenir à la réalité, mais souvent remettre l’album du début…

Le choix de Camille : SuperBravo – Sentinelle

Choisir Superbravo comme nom de groupe m’a toujours intriguée, appelée. Dans un premier temps, cela me faisait rire, car j’y voyais une forme d’audace et d’ironie. Puis, en les voyant pour la première fois en concert, ce mot est devenu évident. Aujourd’hui, il est nécessaire, avec toutes ces portes closes, ces scènes éteintes, de clamer des super et des bravo aux artistes qu’on aime, qui compte. Et ça tombe bien, puisque ce mot est un mot d’amour à Superbravo. 

Leur dernier album Sentinelle est sorti en janvier 2020, sur le label FRACA!!! créé par les super-héroïnes Emilie Marsh, Katel et Robi (dont le disque L’Hiver et la Joie orne le mur de mon studio). Ca promettait déjà d’être très bien. Et ce fut le cas, puisque l’album m’a suivi toute l’année. C’était mon album totem, mon porte-bonheur.

C’est un album précieux, celui qui nous suit, nous hante et poursuit à chaque instant. Celui qui est intemporel. Qu’on apprivoise, s’approprie et se réapproprie au fil des événements comme pour garder une continuité, un contrôle sur les choses; pour finalement parvenir à nous réconforter. Je pense à une chanson en particulier : Il n’y a plus foule. Au début, je pensais qu’elle évoquait une rupture en évoquant l’absence. Mais j’ai vite compris qu’il était sujet de choses plus tragique, comme le réchauffement climatique : “adieu la terre, adieu pour longtemps […] mais c’est la mer qui la reprend”, le fait qu’il soit peut-être trop tard pour faire face, que l’on soit impuissant : “sûr qu’on aurait pu, qu’on aurait voulu, agir à temps, mais c’est la mer, qui nous reprend, oh c’est la mer, qui nous reprend

C’est une chanson qui – évidemment – avait une résonance particulière en plein confinement. Son refrain aurait pu s’écrire en cette période : “il n’y a plus foule, il n’y a plus foule, où sont passés les gens ?” .
D’autant plus étrange que mon dernier concert avant cette petite fin du monde était celui de Superbravo. Il y a aussi le titre Chanteur comme une lettre que j’aurai voulu écrire à certains artistes, ou même que j’ai déjà pu écrire…En avouant à certains chanteurs – qu’à moi aussi – leurs mots me rendent meilleurs. Toute cette justesse, vérité et sincérité fait toute la puissance des textes que chantent en murmurant Armelle Pioline accompagnée par Michel Peteau et Julie Gasnier – qui signe l’univers esthétique du trio. 

Le choix de Damien & Noé : Perez – Surex

Quand nous pensons aux albums qui auront marqué 2020, il y a nécessairement SUREX de Julien PEREZ. Son troisième album est sorti juste avant que la crise sanitaire ne modifie complètement et insidieusement nos vies. La release party qui s’est déroulée à la maroquinerie le 12 mars a été le dernier concert de notre vie d’avant. Emmanuel Macron venait d’annoncer, ce soir-là, la fermeture des établissements scolaires, d’autres mesures plus restrictives allaient être prises ensuite pour aboutir quatre jours plus tard au premier confinement.

Ainsi une dystopie que nous n’aurions pas imaginée allait suspendre nos vies. Dans sa forme SUREX peut avoir un côté prémonitoire. De prime abord moins accessible que son précédent opus Cavernes, il nous plonge en pleine hypnagogie – cet état entre sommeil et éveil où l’on ne distingue plus ce qui relève du rêve ou de la réalité. Une phase qui nous ouvre à la créativité, à l’imaginaire et aux illusions. Les boucles sonores, les paroles qui reviennent comme des mantras « C’est le rêve d’un rêve, le rêve d’un rêve ».

Les lignes musicales aux rythmes hypnotiques sont sobres et épurées. Les mélodies qui en échappent sont pop et claires voire même jazzy dans Allongé sur la plage. Et même si les ambiances sont parfois sombres et graves, le prince noir nous conduit aussi vers la lumière. SUREX vaut aussi pour SUREXposée. Cet album comporte en lui une forte propension à la résilience. Inspirons-nous-en et gardons patience. Libérons-nous, réinventons-nous, la vie reviendra bientôt avec les rapprochements sociaux et les gestes d’ouvertures qui nous manquent tant.